Sur Apocalypse 18, 1-20

Le jugement de Babylone

Pierre Prigent

L’Apocalypse, p. 173s

 

Au début, l’ange annonce le chute de Babylone au passé : elle est tombée. Au verset 8, le châtiment est prédit au futur. La complainte des rois, les versets 9-10, hésite entre futur et présent. Les marchands, eux, s’expriment au futur (versets 15-17a), les marins au passé (versets 18-19). Par trois fois retentit la lamentation (aux versets 10, 17, 19) : Il a suffi d’une heure. Mais la proclamation du dernier ange, qui n’a pas été lue, les versets 21-24, opte pour le futur. On aurait tort d’attribuer ces hésitations à la confusion d’esprit du voyant : elles correspondent trop bien à ce qu’il veut dire !

Comme ses ancêtres, les inspirés de l’ancienne Alliance, il emploie volontiers le passé prophétique, car la décision de Dieu qu’il annonce est irrévocable. On peut donc regarder le châtiment comme déjà accompli. Le présent est transfiguré par la lumière que projette la révélation chrétienne. Quant au futur, il n’est à venir que dans la perception que les hommes en ont. Ce que Dieu veut a déjà la force de la réalité. Si nos regards se perdent dans les brumes du futur, les yeux que la foi dessille discernent dans le monde une vérité plus vraie que celle des apparences.

Il reste que les mots employés par le vision attirent l’attention : le ton traduit le refus scandalisé de l’austère prophète qui condamne sans hésiter toutes ces formes d’un luxe dans lequel il ne voit que la manifestation d’un orgueil impie. Ne nous voilons pas la face, l’Apocalypse, tout occupée de combattre l’idolâtrie menaçante, ne fait pas le détail ! Parmi les œuvres d’un monde que le diable régit, elle ne distingue pas entre ce qui est inacceptable, et ce dont on peut se réjouir quelle qu’en soit l’origine.

Le texte respire un certain ascétisme. Rappelons-nous le contexte dans lequel il s’exprime, mais n’oublions surtout pas que l’homme court toujours le risque de mettre sa recherche du pouvoir, du profit, et même de la beauté au-dessus de tout et d’en faire une idole. C’est ce que le voyant dénonce avec intransigeance. Pourtant l’ange qui jette la meule pour annoncer la chute de Rome sait parler une langue tout empreinte de douce nostalgie : il y a dans le monde des joies, des clartés, des signes d’amour et de tendresse. Mais les hommes ne savent pas discerner là les marques d’un bonheur que Dieu leur propose. Ils préfèrent leur quête éperdue du pouvoir totalitaire et de la possession sans limite, quitte à tout sacrifier pour y parvenir. Un pareil monde encourt à juste titre la condamnation de Dieu.