Sur Apocalypse 17, 1-18
Le mouvement diabolique du pouvoir

Père Enzo Bianchi
Le monde sauvé, commentaire de l’Apocalypse de Jean, p. 263s

Essayons de comprendre l’explication donnée par l’ange dans ce passage de l’Apocalypse que nous venons d’entendre. Tout d’abord, il faut dire que l’intention profonde de l’auteur n’est pas de nous donner des références exclusivement historiques, en l’occurrence au pouvoir impérial. Jean essaie plutôt de nous mettre face au pouvoir totalitaire en général, lequel est toujours assoiffé de sang dans l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, comme au temps des païens. L’auteur n’est pas uniquement un témoin parmi d’autres de l’hostilité orientale à l’égard de Rome ; son point de vue est essentiellement celui d’un contemplatif et d’un théologien.
L’ange donne une première explication au sujet de la bête : Elle était et elle n’est plus, elle va remonter de l’abîme, mais pour aller à sa perte. Le rythme ternaire de cette phrase manifeste l’opposition ouverte de la bête au Dieu qui est, qui était, et qui vient. La dynamique de cette bête qui était et n’est plus, mais reparaîtra, suscite l’émerveillement et l’admiration des habitants de la terre dont le nom n’est pas inscrit dans le livre de vie ; ils n’ont pas le discernement nécessaire pour comprendre la tromperie et l’illusion démoniaques qui sous-tendent les actions de la bête. Or ce qui suscite l’émerveillement chez ces hommes, c’est la tête de la première bête, celle-là même qui avait été frappée, avait paru mise à mort, et s’était ensuite ranimée. Le mouvement décrit passe d’un état de force et de puissance à un déclin, à une mort apparente qui est aussitôt suivi d’une reprise, d’un nouvel essor encore plus percutant ; c’est en quelque sorte le mouvement diabolique du pouvoir qui, au moment même où il semble définitivement annihilé, ressurgit à nouveau pour sévir davantage encore, montrant ainsi une vitalité renouvelée.
Il faut donc une intelligence et une lucidité spirituelles. C’est pourquoi Jean interrompt la narration pour donner un avertissement : C’est ici qu’il faut un esprit doué de finesse ! Les indications que Jean fournit aussitôt constituent une référence explicite au pouvoir impérial de Rome ; cependant, nous sommes invités à les comprendre avec finesse, c’est-à-dire par rapport au pouvoir tout court, le pouvoir totalitaire, qui a toujours tendance à renaître, indépendamment de la chute du pouvoir babylonien ou de l’empire romain. Quoi qu’il en soit, sa perte ultime apparaît désormais tracée : il ira à sa perte.