Sur Jacques 4,13 – 5,11

Le sort des riches

Père Jean Corbon

Le sort des riches à l’avènement du Juste, AS 57, p. 51-52

 

Vous avez condamné, vous avez tué le Juste : il ne vous résiste pas. Jusqu’ici, les phrases s’enchaînaient sans particule de liaison, sinon le « et » sémitique, utile aux parallélismes. Au terme de ce crescendo prophétique, trois coups sont assénés, qu’il faudrait écouter, séparés l’un de l’autre, en profond silence.

Vous avez condamné, littéralement « vous avez jugé à l’encontre de la justice. La justice est vendue aux riches. C’est, en raccourci, la vision de Sagesse 2,10-20, si dramatiquement vécue par Jésus.

Vous avez tué le Juste. Le pain est la vie du pauvre. Le lui retirer en le frustrant de son salaire, c’est le tuer. C’est la forme radicale de la haine homicide dont parle Jean dans sa première épitre : « Quiconque hait son frère est un meurtrier ». Quel est ce Juste ? La réponse est donnée dans la dernière incise : Il ne vous résiste pas. On notera le changement d’aspect verbal : les deux verbes précédents étaient à l’aoriste, temps qui parle d’un fait global dans le passé, alors que celui-ci est au présent, c’est-à-dire un état actuel et qui dure. Quatre interprétations sont possibles.

La première : il s’agit d’une simple constatation : devant votre injustice, votre victime est faible. Une telle finale tombe à plat, et, dans le contexte, détonne par sa banalité. Ou bien, et c’est la deuxième interprétation, on a ici une antithèse : le juste étant encore un collectif pour les victimes de la richesse : « Alors qu’il n’est pas votre adversaire, bien qu’il ne vous ait rien fait », vous êtes d’autant plus coupable. L’accent serait mis sur l’innocence et la non-violence des opprimés.

Troisième interprétation : le Juste serait le Christ. D’autres textes du Nouveau Testament le désignent ainsi dans un contexte analogue, dans les Actes (3,14-15 ; 7,52), dans Matthieu (27,19), chez Pierre (1 P 3,18), et chez Jean (1 Jn 2,1). Le sang de tous les justes qui crient vers le ciel (Matthieu 23,35) devient celui du Juste qui, par sa faiblesse et son innocence, libère tous les pauvres de la terre. Cette finale apocalyptique serait tout à fait dans la ligne de notre homélie et expliquerait la continuité avec le passage suivant : Soyez donc patients, frère, jusqu’à l’avènement du Seigneur.

Enfin, selon le vocabulaire sapientiel, il s’agirait du juste en général par opposition au méchant, thème fondamental du psautier. On pourrait alors récupérer les interprétations précédentes dans une lecture proprement chrétienne des prophètes et des psaumes : Jésus, le Juste par excellence, est identifié à tous ceux qui souffrent l’injustice. Nous serions alors dans la vraie vision de foi, théologale et eschatologique, qui a inspiré à la première communauté et à Matthieu la saisissante apocalypse du Juge qui vient (Matthieu 25,31-46).