Sur Matthieu 18, 21-35

Combien de fois pardonnerai-je à mon frère ?

Saint Augustin

Sermon 114, OC 17, 1-3, p. 184

 

Nous avons entendu dans l’Evangile le précepte salutaire de pardonner à celui de nos frères qui nous a offensés. Et de peur qu’on ne croie qu’une seule fois suffit et qu’il n’est pas nécessaire de lui pardonner chaque fois qu’il a péché, s’il en demande pardon, voici ce qu’il dit : S’il pèche contre toi sept fois le jour, et que sept fois il se tourne vers toi en disant : je m’en repens, pardonne-lui. Or, si tu comprends bien sept fois, c’est donc toujours ; car souvent le nombre sept est pris pour l’universalité. De là cette autre parole : Le juste tombera sept fois et se relèvera, c’est-à-dire chaque fois qu’il sera profondément abaissé par la tribulation, il n’est point abandonné pour cela, mais il est délivré de toutes ses angoisses.

Quand ton frère se rendrait coupable sept fois le jour contre toi, s’il vient te dire : Je m’en repends, pardonne-lui. Ne te fatigue point de pardonner toujours au repentir. Si tu n’étais toi-même débiteur, tu pourrais impunément fatiguer par tes exactions ; mais si tu es un débiteur, tu es débiteur toi-même de celui qui n’a aucune dette, et, dès lors, c’est à toi de voir comment tu dois agir à l’égard de ton débiteur, car Dieu en agira de même envers toi. Ecoute et tremble : Que ton cœur tressaille et que je craigne ton nom, dit le prophète. Si tu tressailles quand on te pardonne, crains, afin de pardonner.

Or, le Seigneur daigne lui-même te donner la mesure de la crainte que tu dois avoir quand il te propose, dans l’Evangile, ce serviteur avec qui son maître voulut entrer en compte, qu’il trouva débiteur de cent mille talents, qu’il ordonna de vendre, lui et tout ce qu’il avait, pour acquitter sa dette. Ce serviteur, tombant aux pieds de son maître et l’implorant pour obtenir un délai, mérita que sa dette fût remise. Or, en sortant de devant la face de son maître qui lui avait remis entièrement sa dette, il rencontra un de ses compagnons qui était aussi son débiteur et qui lui devait cent deniers ; il le prit à la gorge pour le contraindre à payer. Le serviteur qui lui devait disait à ce compagnon ce que celui-ci avait dit à son maître : Aie patience avec moi, et je te rendrai tout. Non, dit l’autre tu payeras aujourd’hui. Vous connaissez la suite…

Comment donc nous faut-il craindre, mes frères, si nous avons la foi, si nous croyons en l’Evangile, si nous ne pensons point que Dieu puisse mentir ? Craignons, observons, soyons sur nos gardes, pardonnons. Que pourrais-tu perdre en pardonnant ? Tu n’as point à donner de l’argent, mais un pardon. Donner de l’argent, c’est secourir un pauvre ; pardonner, c’est secourir un pécheur. Le Seigneur voit chacun de ces actes, il a une récompense pour chacun, une exhortation pour chacun : Remettez, et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera.