Sur Jean 6, 37-40

Le repas eschatologique

Père Donatien Mollat

L’Eucharistie dans le Nouveau Testament, LV 31, février 1957, p. 107s

 

Dans le récit johannique, la révélation de l’eucharistie s’inscrit dans le cadre des espérances messianiques juives. Parmi ces espérances, figurait l’attente du repas qui réunirait Israël autour du Messie ; la scène de la multiplication des pains réalise déjà cette attente, elle est une révélation du Messie présent qui invite à sa table. Chez Jean, le miracle du pain occupe toute la scène : Levant les yeux, Jésus vit une grande foule ; il dit à Philippe : Où pourrions-nous acheter du pain pour faire manger ces gens-là ? Jésus semble n’être là que pour nourrir la foule, on dirait que la foule vient chercher le repas qui va lui être donné. De plus, Jésus prend l’initiative, mène l’action : c’est lui qui distribue le pain, il enjoint seulement aux disciples de ramasser les restes. Jésus apparaît en pleine lumière comme le Maître du repas.

Le lendemain, on est en plein Exode. Semblable à la génération du désert, la foule galiléenne, n’a de pensées et de désirs que pour les avantages matériels : Vous me cherchez, leur dit Jésus, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain ! Aussi les invite-t-il à penser au pain impérissable, au vrai pain du ciel, celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.

Chez Jean, la révélation prend un tour universel que traduisent les notions de vérité, de vie, de monde. Le pain du Christ est le pain de Dieu, le pain qui donne la vie au monde. Il est l’aliment de l’homme, apaisant à jamais toute faim, étanchant à jamais toute soif, apportant la vie sur laquelle la mort n’a pas de prises. Il nourrit tout l’être humain, l’élevant à la communion divine, déposant dans le corps même le germe de la résurrection. Livré pour la vie du monde, il est le pain du salut. Qui mange ce pain vivra éternellement. Chair du Verbe qui éclaire tout homme, il est le pain de tous, offert à tous  : Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors.

Comment  Jésus, cet être de condition fragile et mortelle, peut-il nourrir les hommes de vie éternelle ? La glorieuse Ascension du Fils de l’Homme lève cette énigme : Jésus ressuscité y apparait passant en sa chair à la condition glorieuse et spirituelle qui lui revient de droit. En cette chair, investie de la toute puissance vivifiante de l’Esprit, il peut revenir vers les siens pour se donner à eux en nourriture capable de leur communiquer la vie divine et éternelle qui est la sienne et de déposer en leur corps même le germe de sa propre résurrection. Telle est proprement la nourriture eucharistique, chair authentique de ce Jésus de Nazareth, mais dans la condition divine du Fils de l’Homme élevé, retourné dans la gloire qu’il avait auprès du Père avant la création du monde. A ces profondeurs divines, l’eucharistie introduit les croyants : Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui.