Jean 15, 9-16

Le commandement nouveau

Saint Grégoire le Grand

Homélies sur l’Evangile, 27ème homélie, SC 522, p. 165s

             Les Saintes Ecritures sont pleines de préceptes du Seigneur ; alors pourquoi dit-il de la charité comme d’un précepte unique : Mon commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres ? N’est-ce pas que tout commandement porte sur le seul amour, et que tous les commandements ne font qu’un, parce que tout ce qui est commandé est fondé sur la seule charité ? En effet, comme les multiples rameaux d’un arbre proviennent d’une seul racine, ainsi les multiples vertus s’originent dans la seule charité. Et le rameau de l’œuvre bienfaisante ne verdoie pas s’il ne demeure pas sur la racine de la charité. Les commandements du Seigneur sont, en effet, multiples et un : multiples par la diversité des œuvres, un dans la racine de l’amour. Le Seigneur insinue lui-même comment il faut pratiquer cet amour lorsque, dans son Ecriture, à de nombreuses reprises, il ordonne qu’on aime ses amis en lui et ses ennemis à cause de lui. Il possède la vraie charité celui qui aime son ami en Dieu et son ennemi pour Dieu. Car il est des gens qui aiment leur prochain, mais d’une affection qui vient de la parenté et de la chair. Les Saintes Ecritures ne s’opposent certes pas à cet amour ; mais autre chose est ce qui est accordé spontanément à la nature, autre chose ce que l’on doit aux commandements du Seigneur par un amour qui obéit. Or, ces gens aiment leur prochain et n’obtiennent pourtant pas les sublimes récompenses de la charité, car ils donnent leur amour selon la chair, non selon l’esprit. Aussi quand le Seigneur a dit : Mon commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres, il a aussitôt ajouté : comme je vous ai aimés. Comme s’il disait clairement : Aimez pour le motif pour lequel je vous ai aimés.

       L’unique et la plus haute preuve de la charité, c’est d’aimer jusqu’à son  adversaire. C’est pourquoi la Vérité elle-même souffre sur le gibet de la croix et exprime pourtant à ses persécuteurs son tendre amour en disant : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que les disciples, biens vivants, aiment leurs ennemis quand le maître aime les siens au moment où il se fait tuer ? Le sommet de cet amour, il le définit en ajoutant : personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. Le Seigneur était venu mourir même pour ses ennemis, et pourtant il disait donner sa vie pour ses amis ; il nous montre ainsi qu’en pouvant gagner ses ennemis, en les aimant, nous avions dans nos persécuteurs mêmes des amis.