Romains 8, 28-39

Le côté ouvert

Saint François de Sales

Le livre des quatre amours, p. 48-50s

        Lorsque quelque grande princesse ou seigneur meurt d’une mort inopinée, on ouvre son corps pour chercher à connaître la cause la cause de son trépas. Notre Seigneur étant sur l’arbre de la croix, il dit avant de rendre l’esprit ces paroles d’une voix haute, éclatante et ferme : En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. Et aussitôt, le remit son esprit. Lorsque le capitaine des soldats vint pour savoir s’il était vraiment trépassé, et voyant qu’il l’était, il commanda qu’on lui donnât un coup de lance au côté.

       Notre Seigneur voulut que son côté fût ouvert pour plusieurs raisons. La première est afin qu’on vît les pensées de son cœur, qui étaient des pensées d’amour et de dilection pour nous, afin que nous recevions de lui grâces et bénédictions.

       La seconde raison est afin que nous allions à lui avec toute confiance, pour nous retirer et nous cacher dans son côté, pour nous reposer en lui, voyant qu’il a son cœur ouvert pour nous y recevoir avec bénignité et amour, si nous nous donnons à lui et que nous nous abandonnions entièrement et sans réserve à sa bonté et à sa providence.

       Vous me demanderez peut-être les raisons pour lesquelles nos cœurs, à nous autres, sont si cachés qu’on ne les voit point. Pour deux raisons, il est expédient qu’il en soit ainsi. La première raison, pour ce que l’on  aurait horreur de découvrir dans le cœur des pécheurs des choses si sales, si horribles, et bien des misères. Sainte Catherine de Sienne avait reçu de Dieu le don de pénétrer les consciences, de connaître les péchés les plus secrets ; elle s’efforçait de s’en détourner pour ne pas les voir. De même Saint Philippe Néri avait reçu cette même grâce de la divine bonté : souvent il se bouchait le nez pour ne pas sentir la grande puanteur qui sortait des pécheurs. L’autre raison est qu’il n’est pas bon que l’on voit le cœur des personnes sans péchés, de peur que ces personnes ne tombent en vanité, ou que cela ne donne de la jalousie aux autres. Or, en Notre Seigneur il n’y avait aucune crainte à voir son cœur, parce qu’il n’y avait rien en lui qui pût donner de l’horreur : il était si pur, si saint, la pureté même : il ne pouvait point tomber en vanité, lui qui était l’auteur de la gloire.