Marc 3, 20-35

Le blasphème contre l’Esprit

Isaac de l’Etoile

Sermon 39, tome II, SC 207, p. 323s

        Le blasphème contre l’Esprit : il enchaîne dans une culpabilité éternelle ceux qu’il a une fois occupés : non qu’un pénitent se voie refuser le pardon s’il fait de dignes fruits de pénitence, mais parce qu’étouffé sous le poids d’une si grande perversion il ne peut pas soupirer vers une digne pénitence. Par un profond et équitable jugement de Dieu, celui qui, voyant manifestement la grâce de Dieu et l’opération de l’Esprit Saint dans son frère et ne pouvant la nier, ose, piqué par l’envie, la dénigrer et la calomnier, ose attribuer l’esprit malin ce qu’il sait parfaitement venir de l’Esprit Saint, celui-là est abandonné par le même Esprit de grâce auquel il fait injure. Alors, sa propre malice l’aveugle et le plonge dans des ténèbres, au point qu’il n’ait plus jamais la volonté de faire pénitence pour être pardonné. Quoi de plus grave en effet que d’oser, par envie pour un frère qu’on a reçu l’ordre d’aimer comme soi-même, blasphémer la bonté de Dieu qu’on doit aimer plus que soi-même et insulter la divinité en voulant discréditer un homme ? Mettons toute notre vigilance à garder nos cœurs de cette peste de la méchanceté qui hait le bonheur des autres, alors qu’aimer ce bonheur, c’est, en aimant, le faire nôtre. La voilà cette mère vipérine qui a enfanté la mort pour le monde. C’est en effet par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde entier. Lui-même, le premier des orgueilleux, est bien le premier des envieux : de lui-même, il a engendré l’arrogance ; d’elle et avec elle, il a engendré la jalousie. Il n’a pas été arrogant d’abord et envieux ensuite, mais l’un et l’autre simultanément, parce que l’arrogant est un envieux. Ajoutons que l’arrogance est un appétit de sa propre gloire, l’envie une détestation de celle d’autrui. Ainsi donc, que celui qui désire être libre de toute envie s’abstienne de toute arrogance. Rien, en effet, dans toute la génération mauvaise et perverse des vices, n’est aussi opposé à la charité pour Dieu et pour le prochain que la double engeance de l’arrogance et de l’envie. Comme en celle-là consiste le sommet des vertus, en celles-ci consiste l’extrême fond des vices.