Actes 9, 27-31 + 11, 19-26

L’originalité du troisième évangile

Père Xavier Léon-Dufour

Les Evangiles et l’histoire de Jésus, p. 190s

 

       Le témoignage du troisième évangile nous révèle une originalité réelle par rapport aux autres évangiles. Alors que les deux premiers évangiles synoptiques portent la marque d’un milieu, d’une communauté déterminée pour Matthieu, d’un apôtre tel que Pierre pour Marc, de plusieurs communautés pour Jean, le troisième est vraiment l’œuvre d’un auteur, d’un écrivain qui, certes, ne se nomme pas en tête de son ouvrage, mais qui définit nettement son intention et sa méthode dans son Prologue.

       A la différence de Matthieu qui rapporte la catéchèse de son Eglise, de Marc qui couche par écrit la proclamation évangélique encore à l’état naissant sur les lèvres de Pierre, Luc veut rédiger un livre sur tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement jusqu’au jour où, après avoir donné ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis sous l’action de l’Esprit-Saint, il fut enlevé au ciel.

       Il lui appose donc une préface dans laquelle on reconnaît les expressions classiques qui se retrouvent en tête d’autres ouvrages antiques, composés par des historiens, des géographes, des médecins : il a consulté les témoins oculaires des événements, il a fait une enquête minutieuse et exhaustive afin d’offrir une assise aux enseignements reçus par celui auquel il dédie son ouvrage ; tout cela pourrait être dit par un historien profane qui s’appliquerait à ordonner ses informations en un récit suivi.

       Or, en même temps qu’il emploie des termes communs, Luc laisse échapper une expression qui trahit sa personnalité profonde : quand il identifie les témoins à des serviteurs de la Parole, il cesse d’être accessible à un Grec cultivé, l’historien devient alors évangéliste. Les expressions profanes ne sont qu’un vêtement littéraire recouvrant une réalité chrétienne originale. En langage chrétien, les témoins oculaires s’appelleraient les martyrs ; les événements historiques sont l’annonce évangélique ; la tradition historique est en même temps tradition religieuse porteuse du salut chrétien ; enfin les traits rassemblés à l’intention de Théophile sont empruntés à des éléments de catéchèse chrétienne, et la garantie historique que Luc entend donner servira à consolider la foi chrétienne de Théophile. Voilà ce qu’il faut garder en mémoire lorsque l’on s’interroge sur le genre littéraire de cet ouvrage : nous trouverons ainsi en Luc l’héritier de la tradition, le théologien de l’histoire du dessein divin, l’évangéliste de l’Esprit-Saint.