Isaïe 6, 1-31

La théophanie lors de la vocation d’Isaie

Père Philippe Béguerie

Etudes sur les prophètes d’Israël, p. 23s

       Isaïe a inscrit sa vision dans le contexte habituel des théophanies. Quelle différence avec les vieux récits yahvistes de la Genèse ! Dieu, alors parlait aux hommes avec une savoureuse familiarité ; c’était le Père aimant qui dirige les pas du premier homme, ou l’hôte de passage auquel Abraham offre une hospitalité toute orientale et qui fait confidence de son dessein de détruire Sodome. Mais à partir du Sinaï, les apparitions du Seigneur sont terribles et solennelles. A Moïse, Dieu parle dans le tonnerre et les éclairs : La montagne était toute fumante parce que Dieu y était descendu sous forme de feu ; la fumée s’en élevait comme d’une fournaise et toute la montagne tremblait violemment. C’était appliquer à Dieu, maître de la création, les apparences du Dieu de l’orage. Et depuis cette imagerie de feu, de tonnerre, de tremblement, de fumée est l’inséparable accompagnement de toute épiphanie divine, jusqu’aux apocalypses qui tireront d’elle leur décor grandiose et terrifiant. Isaïe entre dans le courant, mais avec son style sobre et classique. Tous les éléments traditionnels se retrouvent dans son récit en quelques traits évocateurs. Les Séraphins, ces brûlants et leurs acclamations qui font trembler les portes sur leurs gonds, l’autel des parfums rouge de braise et exhalant l’encens déploient le feu, les grondements, la fumée et les tremblements qui accompagnent les théophanies.

       Au sein de cette imagerie, Dieu reste transcendant. Ce n’est pas la voix de Dieu qui fait trembler le parvis ; le feu ne sort pas de lui ; la fumée n’est pas celle de sa colère, ni la poussière que soulève ses pieds. En poète, Isaïe procède par touches rapides et l’évocation n’en est que plus puissante.

       La fumée correspond à la nuée du Sinaï : elle est l’expression même de la présence divine. Dans les grandes circonstances, elle remplit le Temple comme elle avait rempli le tabernacle construit par Moïse ; c’est ainsi qu’au jour de la Dédicace sous Salomon, la nuée remplit la maison de Dieu, et les prêtres ne purent y rester pour faire leur service à cause de la nuée, car la Gloire de Dieu remplissait la maison de Dieu.

Le Jour de Dieu sera le triomphe de Dieu : Dieu viendra dans tout l’éclat de sa gloire. Il siégera alors avec quelle majesté et quelle puissance ! Ce ne sera plus un voyant privilégié qui jouira de sa vue, tous les hommes le verront et seront jugés par lui. La vision d’Isaïe dans le Temple participe déjà de la splendeur de ce Jour Dernier. Si la royauté de Dieu n’est pas encore manifestée dans le monde entier, en droit cependant elle est universelle. Le hiatus qui existe entre la manifestation de Dieu dans son Temple et l’oubli où on le tient dans Jérusalem et par toute la terre se résoudra à la Parousie : tous devront reconnaître Dieu dans tout l’éclat de sa Gloire.