Ruth 1, 1-22

Ruth : le pain, la chair

Père Paul Beauchamp

Cinquante portraits bibliques, p. 99s

       L’histoire de Ruth la Moabite et de Booz laisse facilement le souvenir d’une idylle. N’oublions pas cependant qu’elle est l’histoire de gens qui ont faim. En un sens, elle est cela d’abord. Car le Livre de Ruth commence avec une famine, qui amène la veuve Noémi à quitter Bethléem pour s’expatrier au pays de Moab. Ses fils dont l’un s’appelait Langueur Mahlön et l’autre Consomption Kilyôn meurent dans cet exil ! La famine terminée, Noémi quitte Moab accompagné de leurs deux veuves, qui sont des étrangères, des filles de là-bas. Elle les exhorte en chemin à revenir sur leur pas pour se remarier au pays de leurs parents.

       L’un d’elle refuse, c’est Ruth. A Bethléem, elle va nourrir Noémi en glanant derrière les moissonneurs. Deux pauvresses. Le récit est scandé par le rythme des récoltes : moisson des orges, moisson du blé. Il l’est aussi par le décompte des portions rapportées par les glaneuses. A travers ce souci, un modèle déjà se fait sentir : c’est le Livre de la Genèse. Abraham, à peine arrivé en Canaan, devait chercher en Egypte de quoi manger ; Isaac se repliait chez les Philistins pour la même raison, et c’est la faim qui amènera les frères de Joseph chez le pharaon. Ce qu’on appelle l’histoire est, prise au ras du sol, l’histoire du pain. L’Histoire Sainte est aussi de bout en bout l’histoire du pain.

       Par ses premiers mots, Au temps des Juges, le Livre de Ruth est contigu au Livre des Juges. Mais l’atmosphère est toute différente. Ruth est le seul livre de la Bible où tout se déroule sans que personne ne pèche. Le Livre de la Genèse, moins rude que Juges, donne encore une image assez crue des origines. Les souvenirs de Genèse se lisent à travers les lignes de Ruth. Après le drame du pain, vient celui de la généalogie : comment assurer une lignée israélite en exil avec deux brus veuves ? Or le Livre arrive à garder la trace des épisodes les plus scabreux des vieilles traditions, qu’il métamorphose jusqu’à la pureté idéale. Sa principale référence est le nom de Tamar, qui se joint à celui de Rachel et de Léa pour faire mémoire des grandes aïeules. La différence est surtout dans la réserve et la délicatesse du narrateur de Ruth : ornée et parfumée, la glaneuse va s’étendre auprès de Booz que la moisson a rendu gai et qui sommeille ; elle obtiendra d’être demandée en mariage après une longue nuit dont il est suggéré qu’elle fut chaste.