Romains 7, 14-25

La genèse de l’expérience biblique

Dom Jean Leclercq

L’amour des lettres et le désir de Dieu, p. 71s

       A l’origine, dans les milieux monastiques, lectio divina et sacra pagina sont des expressions équivalentes. Chez saint Jérôme, comme chez saint Benoît, la lectio divina est le texte même qu’on lit, un passage déterminé, une leçon tirée de l’Ecriture. Dans l’Ecole, au Moyen-Age, on parle plus volontiers de la page elle-même, du texte pris objectivement, en tant qu’il est la matière d’une étude : on étudie l’Ecriture pour elle-même. Au cloître, on considère plutôt le lecteur et le bien qu’il tire de l’Ecriture Sainte. Dans les deux cas, il s’agit d’une activité qui est sainte, sacrée, divine ; mais dans les deux milieux, l’accent est mis sur deux aspects divers de cette même activité : la lectio scholastique tend vers la questio et la disputatio, vers la science et le savoir, la lectio monastique tend vers la meditatio et vers l’oratio, vers la sagesse et le goût. Au monastère, la lectio divina, cette activité qui commence par la grammaire aboutit à la componction et au désir eschatologique.

       Au Moyen-Age, on lit généralement en prononçant avec les lèvres, au moins à voix basse, par conséquent en entendant des phrases que les yeux voient. Plus qu’une mémoire visuelle des mots écrits, il en résulte une mémoire musculaire des mots prononcés, une mémoire auditive des mots entendue. La meditatio consiste à s’appliquer avec attention à cet exercice de mémoire totale ; elle est donc inséparable de la lectio. C’est elle qui, pour ainsi dire, inscrit le texte sacré dans le corps et dans l’esprit.

       Ce mâchonnement répété des paroles divines est parfois évoqué par le thème de la nutrition spirituelle : le vocabulaire est alors emprunté à la manducation, à la digestion ; aussi la lecture et la méditation sont-elles parfois désignées par ce mot, si expressif, de ruminatio. Méditer, c’est alors s’attacher étroitement à la phrase qu’on récite, en peser tous les mots, pour parvenir à la plénitude de leur sens, c’est assimiler le contenu d’un texte au moyen d’une sorte de mastication qui en dégage la saveur. L’Ecriture Sainte est alors le puits de Jacob d’où l’on extrait les eaux que l’on répand ensuite en oraison. Il ne sera pas nécessaire d’aller à l’oratoire pour y commencer à prier ; dans la lecture même, il y aura moyen de prier et de contempler.