Luc 6, 17 + 20-26

Les Béatitudes

Saint Ambroise de Milan

Traité sur l’évangile de Luc, SC 45bis, p. 201s

Saint Luc n’a noté que quatre béatitudes, saint Matthieu huit. Mais dans les huit, il y a les quatre, et dans les quatre les huit ! L’un s’est attaché aux quatre comme aux vertus cardinales ; l’autre a, dans huit maintenu le nombre mystérieux. Comment en quatre béatitudes, Luc a renfermé huit béatitudes ? Nous savons qu’il y a quatre vertus cardinales : tempérance, justice, prudence, force. Qui est pauvre en esprit n’est pas avide. Celui qui pleure ne s’enorgueillit pas, mais il est doux et paisible ; qui pleure s’humilie. Celui qui est juste ne refuse pas ce qu’il sait être donné à tous pour l’usage commun. Celui qui a pitié donne de son bien ; qui donne de son bien ne recherche pas le bien d’autrui et ne dresse pas de piège à son prochain. Il y a donc un lien et un enchaînement entre les vertus, si bien qu’en ayant une, on se trouve en avoir plusieurs ; les saints ont leur vertu propre, mais celle qui est plus étendue a une récompense plus étendue. Quelle hospitalité chez Abraham ! Quelle humilité ! Quelle fidélité quand il délivre de l’ennemi le fils de son frère ! Et quel désintéressement quand il ne revendique rien du butin ! Mais comme il l’a fait par la foi, il a mérité avant tout d’être premier par la foi. Chacun a donc plusieurs récompenses parce qu’il y a plusieurs mobiles des vertus ; mais ce qui est plus riche en mérite est aussi plus comblé de récompense.

Si Matthieu a, par des récompenses, attirés les peuples à la vertu et à la foi, Luc les a également détournés des péchés par l’annonce des supplices à venir ; et ce n’est pas sans raison que, suivant son chemin à travers le rappel de maintes actions divines, il est arrivé plus tard au point des béatitudes afin d’enseigner aux peuples fortifiés par les miracles divins à s’avancer au-delà du chemin de la Loi par la marche des vertus. La crainte était de mise tant que le peuple encore infirme avait le cœur hésitant ; à présent, il fallait le son de la trompette pour réveiller le courage. Cela ressort de la manière dont se développent les discours de ce livre, ceux du début, ceux de la suite du sermon. Là ceux qui sont encore infirmes sont comme abreuvés du lait de la Loi et par les chemins de la Loi conduits à la grâce ; ils entendent les choses de la Loi afin qu’en suivant la Loi, ils dépassent la Loi. Ici l’Eglise, mieux affermie,  n’est plus abreuvée de lait, mais nourrie d’un aliment : car c’est un aliment solide que la charité. Aussi bien, de ces trois sommets, foi, espérance et charité, le plus grand est la charité.