Hébreux 7, 1-11

Melchisédech, prêtre du Dieu Très-Haut

Cardinal Jean Daniélou

Les saints païens de l’Ancien Testament, p. 133s

 

        Melchisédech est le prêtre du Dieu Très-Haut, qui a fait le ciel et la terre. Il connaît le vrai Dieu, non pas sous le nom qui sera révélé à Moïse, mais sous le nom de El, qui est celui du Dieu créateur, connu à travers son action dans le monde. Melchisédech est prêtre de cette religion première de l’humanité, qui n’est pas limitée à Israël, mais embrasse tous les peuples. Il n’offre pas le sacrifice dans le Temple de Jérusalem, mais le monde entier est le Temple d’où monte l’encens de la prière.

        Il n’offre pas le sang des boucs et des taureaux, le sacrifice expiatoire. Mais il offre la pure oblation du pain et du vin, le sacrifice d’action de grâces. Et c’est bien l’action de grâces qu’il offre pour la victoire d’Abraham, vers lequel Dieu l’a envoyé. Il reçoit la dîme d’Abraham, c’est-à-dire la part prélevée sur tous les biens, pour servir au culte de Dieu. Et si Abraham est l’initiateur d’une alliance nouvelle et plus haute, il rend d’abord hommage à la légitimité de cette alliance première entre les mains de son grand-prêtre. Tel, sur les bords du même Jourdain, à une autre charnière de l’histoire, Jésus recevant le baptême de Jean-Baptiste avant de le voir s’incliner devant lui. Il est roi et prêtre, rassemblant en lui les deux onctions qui seront divisées entre David et Aaron et ne seront plus rassemblées qu’en Jésus.

        Ainsi, sans nul besoin de faire appel à la légende, nous apparaît la grandeur de Melchisédech. Le sacrifice est l’action religieuse par excellence, l’acte par lequel l’homme reconnaît le souverain domaine de Dieu sur lui-même et sur toutes choses, en lui offrant les prémices de ses biens. Tel, dès les origines du monde, le geste d’Abel offrant les prémices de son troupeau. Ainsi, au seuil de l’humanité, surgissent les deux gestes essentiels, Abel inventant le rite et Caïn fabriquant l’outil, les deux gestes dont les vestiges, après les millénaires, attesteront la présence de l’homme. Partout où il y a sacrifice, il y a religion. Et là où il n’y a pas sacrifice, action sacerdotale, il n’y a pas religion. Car la religion est l’acte par lequel l’homme reconnaît sa totale appartenance à Dieu. Et le sacrifice est l’expression visible, le sacrement de cet acte intérieur d’adoration.