Deutéronome 5, 1-22

De la Loi à la grâce

Saint Augustin

Sermon 32, OC 16, p. 151s

Le fleuve dans le lit duquel David prit cinq pierres confirme notre explication d’après laquelle ces cinq pierres figurent la Loi à cause des cinq livres de Moïse. Or, nous avons déjà dit qu’à l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, la Loi s’est changé en grâce pour que la victoire sur le démon fût entière et véritable. Ces pierres ont donc été prises dans le lit du fleuve. Ce fleuve représentait le peuple léger et inconstant, attaché aux choses du temps, affectionné aux jouissances passagères, et que la violence des passions entraîne dans la mer de ce siècle : tel était le peuple juif. Il avait reçu la Loi, mais il foulait aux pieds la Loi, il passait par-dessus la Loi, et était entraîné vers la mer, comme le fleuve qui coulait sur ces pierres. En effet, ces pierres n’avaient point opposé une digue à ce fleuve pour l’arrêter dans son cours. S’il en avait été ainsi, elles auraient représenté la force coercitive de la Loi, et ceux qui, après s’être laissés entraîner au cours de leurs plaisirs et de leurs passions, trouvent un point d’arrêt dans l’observation des préceptes de la Loi, et répriment la violence de leurs inclinations criminelles. Telles n’étaient pont ces pierres, elles étaient dans le lit du fleuve, et l’eau coulait par-dessus, de même que le peuple transgresseur de la Loi passait par-dessus la Loi. C’est de là que le Seigneur prit la Loi pour l’élever jusqu’à la grâce, c’est-à-dire qu’il la prit dans le fleuve et la mit dans la besace du berger.

Que celui qui veut accomplir la Loi se pénètre de la nécessité de la grâce. Les dix préceptes du psaltérion à dix cordes étaient les mêmes pour le peuple ancien, mais la crainte qui dominait ce peuple faisait de ces préceptes un poids accablant pour lui. En effet, il n’était point dirigé par la charité qui vient de la grâce, mais par la crainte. Les préceptes divins étaient une punition pour ce peuple, parce qu’il ne pouvait les accomplir par un sentiment d’amour. Il faisait des efforts, mais la passion l’emportait bientôt. Lors donc qu’un homme passe sous le règne de la grâce, il n’accomplit point d’autres préceptes, mais il accomplit, à l’aide de la grâce, ce que la Loi ne pouvait lui faire accomplir. Ce n’est point la force des commandements qui agit ici, mais la force de la grâce de Dieu. Si cette force venait des préceptes de la Loi, l’homme les eût accomplis sous la Loi. Celui qui passe sous l’empire de Jésus-Christ, passe de la crainte à l’amour, et commence à puiser dans l’amour une force que la crainte ne pouvait lui donner ; il tremblait sous le règne de la crainte, il ne tremble plus sous le règne de la charité. Voilà pourquoi David, en disant Je célébrerai ta gloire sur la lyre à dix cordes, a voulu signifier que l’homme qui est passé sous l’empire de la grâce, chante la grâce qui est jointe aujourd’hui aux dix préceptes, c’est-à-dire les accomplit avec joie.