Hébreux 5,11 – 6,8

L’esprit d’enfance

Guillaume de Saint-Thierry

Oraisons méditatives, SC 324, p. 161s

         Combien il est difficile, Seigneur, de tendre vers ce qui est de toi, de se dégager aussi fortement qu’il le faudrait de ce qui qui nous éloigne de toi ; et pourtant tu disposes pour nous ce qui devrait nous rapprocher de toi. Comme nous n’avons pas encore dépassé les rudiments de notre imagination, tu permettras et tu auras pour agréable que l’imagination de notre esprit s’applique à tes abaissements, et qu’ainsi mon âme encore infirme exerce ses capacités. Alors elle embrassera le berceau du nouveau-né, adorera la sainte enfance, elle baisera les pieds de celui qui pend sur la croix, elle tiendra et couvrira de baisers les pieds du Ressuscité, elle mettra la main dans les trous des clous et s’écrira : Mon Seigneur et mon Dieu.

        Par ces moyens, comme dit Job, visitant ma propre apparence, je ne pécherai pas, quand je prierai et adorerai ce que j’aurai vu par l’imagination, ce que j’aurai entendu, ce que mes mains auront pu toucher du Verbe de vie. Je n’ai nulle crainte de dire que, dans la douce disposition de ta sagesse, tu as préparé de toute éternité cette grâce ; et des causes principales de ton Incarnation, la moindre n’a pas été que celle-ci : que tes petits enfants qui ont encore besoin du lait de ton Eglise et non de nourriture solide, et qui sont encore incapable de penser à toi spirituellement selon ton mode, puissent trouver en toi une apparence qui ne leur est pas étrangère, une forme que, tout en renonçant à leurs sens, ils puissent se proposer sans scandale pour la foi, tant qu’ils n’ont pas la force de fixer les yeux sur ta divine Majesté.

C’est pourquoi, bien que nous ne te connaissions plus désormais selon la chair, mais selon la condition où tu sièges, glorifié, à la droite du Père dans les hauteurs, constitué d’autant supérieur aux anges que tu as hérité, de préférence à eux, d’un nom plus excellent, c’est cependant notre propre chair que nous prions, adorons et supplions : tu ne l’as pas rejeté, mais glorifiée ; elle est l’escabeau de tes pieds. David nous y exhorte et dit : Adorez l’escabeau de ses pieds, parce qu’il est saint.