Romains 12, 1-24

«  Que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection »

Dom Ildefonse Herwegen

Lettre et esprit de la Règle de saint Benoît, p. 405-407

 

          Prévenez-vous d’honneur les uns des autres : de ce précepte, relève en première ligne le respect mutuel dont les moines doivent faire assaut les uns envers les autres. Puis vient l’ordre de supporter avec grande patience les infirmités physiques ou morales. Il n’existe pas de vie commune dans laquelle les défauts corporels ou moraux et psychiques, des uns et des autres, n’offrent matière à sacrifice. Chacun a ses faiblesses ; et pour ne pas blesser, il faut non seulement de la patience, mais encore beaucoup d’indulgence et la faculté de fermer les yeux sur bien des choses. Vieillesse, maladie, nervosité, étroitesse d’esprit, disponibilité à ergoter ou à parler pour ne rien dire, et autres imperfections dont les intéressés ont à peine conscience, constituent souvent pour les confrères de rudes épreuves. C’est pourquoi saint Benoît demande une très grande patience.

            Après cela, il va de soi que nul ne recherche ce qui lui est utile à lui-même, mais au contraire ce qu’il reconnaît être l’avantage du prochain. Ce mot de saint Paul aux premiers chrétiens est, quand il se réalise, la marque authentique d’une vraie communauté. Résumant tout ce qui précède, le père et le maître attend des moines qu’ils se témoignent leur amour réciproque dans une très pure bienveillance fraternelle. Trois termes qui désignent chacun une totalité propre : caritas (agapè), amor (erôs), et caste. Caritas, c’est l’amour donné par Dieu, qui dépose dans la communauté un zèle surnaturel pour tous et pour chacun. C’est l’Esprit-Saint à l’œuvre dans l’âme, l’amour divin substantiel. Amor, c’est l’amour humain naturel. Il faut qu’il soit là, et qu’il reste actif, si l’on ne veut pas que l’amour surnaturel reste une idée, une abstraction théorique. L’agapè doit prendre une forme humaine, et se détailler en prévenances, en courtoisie, en égards, en soutien patient, en aide amicale. Eros doit être, dans son humanisme, purifié, ennoblit, éclairé et sanctifié par l’agapè. La castitas est le renoncement à tout point de vue personnel, dans un amour respectueux, dévoué, sacrifié. Sans elle, l’amour fraternel ne serait que recherche naturelle du moi, et perdrait sa plus noble valeur. Mais l’agapè se sert volontiers d’un noble amour humain pour exprimer son incomparable profondeur. C’est pourquoi la véritable caritas a adopté tant d’expressions de l’amour : révérence, courtoisie, compassions, jusqu’au baiser de paix dans la liturgie. Ubi caritas et amor, Deus ibi est. Ces deux dons très nobles que l’âme possède par grâce divine et par nature humaine doivent s’unir en un seul amour pour le bonheur de toute la communauté.