Romains 9, 19-33

Dieu imitable

Dom Jean Leclercq

Regards monastiques cisterciens sur le Christ au Moyen-Âge, p. 208s

 

          Personne n’a jamais vu Dieu. On pouvait déjà tendre vers lui et le connaître dans une certaine mesure. Mais on ne pouvait pas l’imiter, s’unir à lui en vivant comme lui. Il fallait pour cela qu’il devînt d’abord visible et qu’il imitât l’homme en entrant dans sa condition. Pour le chrétien, toute montée de l’homme vers Dieu suppose une descente de Dieu vers l’homme : il est descendu par le mystère de l’Incarnation, nous laissant l’exemple afin que nous puissions marcher sur ses traces. Sans devenir un pêcheur comme nous, il a participé à notre misère, nous manifestant par là sa bonté, sa miséricorde. Parce qu’il était le Verbe en même temps que l’homme Jésus, le Christ a également possédé un pouvoir divin, en vertu duquel il a été ensuite glorifié. Sa puissance est pour nous objet d’admiration, d’adoration, de désir, et parfois de crainte. Mais ce qui est pour nous objet d’imitation, c’est l’humiliation volontaire par laquelle il nous a sauvés, et grâce à laquelle nous participons déjà, sans pouvoir l’imiter ici-bas, à sa gloire.

          Maintenant donc qu’il nous a imités en devenant l’un d’entre nous, nous pouvons nous aussi imiter le Christ en ses mystères : en sa pauvreté, son obéissance, sa patience, en son amour de tous, en ses nuits passées en prière, en son jeûne sur la montagne. Les deux moments de son existence terrestre auxquels s’arrêtent de préférence la contemplation de saint Bernard et des auteurs cisterciens, parce qu’ils sont, pour ainsi dire, les symboles parfaits de son humilité et de sa charité, sont sa naissance et sa passion. Mais c’est toute sa vie qui constitue pour nous un mystère de salut, un signe efficace et sensible de son œuvre, et, en ce sens, conforme à la tradition biblique, patristique et liturgique, un sacrement.

          Saint Bernard et à sa suite les mystiques cisterciens ne sont pas des docteurs sentimentaux. En christologie, comme en d’autres domaines, ils ne le sont pas plus que ne l’étaient saint Paul, saint Jean, les Pères, la liturgie. Mais, comme eux, ils intègrent l’expérience chrétienne, faite de représentation, de souvenir et d’imitations, à tout l’ordre sacramentel.