Jean 13, 21-38

La trahison de Judas

Dom Augustin Guillerand

Ecrits Spirituels, Tome I, p. 403s

 

          La trahison de Judas, Jésus la connaît et la voit venir depuis toujours. Elle ne le surprend pas ; l’impression qu’il en éprouve n’est pas un mouvement de sensibilité qui échappe à sa raison : ce mouvement est voulu, prévu, commandé ; il éclate à son heure dans une nature toujours parfaitement maîtresse d’elle-même, des personnes, des choses, et des événements. La trahison de Judas a sa place marquée dans le plan de sa vie. La dénonciation du traître en ce repas et son émotion, également.

          C’est pour nous que Jésus laisse libre court à cette émotion ; c’est pour que, sachant qui il est, nous le voyions en même temps si semblable à nous, si donné et si uni. Il est le Dieu immuable, Seigneur et Maître ; il est aussi un homme revêtu de tout ce que comporte l’humanité ; il connaît la tristesse et la joie, et les événements retentissent en lui, comme en nous…, beaucoup plus encore parce que rien n’a altéré, ni émoussé la vive fraîcheur de sa sensibilité.

          Son émotion se communique aux apôtres : Les disciples se regardaient les uns les autres en se demandant de qui il parlait. Leur émotion s’explique, comme celle du Maître. Ils sont loin de connaître celui qui les a choisis et de comprendre toute la richesse de l’enseignement qu’il leur a donné, mais ils l’aiment profondément. Jésus n’a rien obtenu de plus : il aurait pu réaliser une transformation rapide et totale ; il ne l’a pas voulu, ce sera l’œuvre de son Esprit qu’il leur enverra plus tard. Il a voulu seulement se les attacher d’un sentiment qui prépare la transformation future.

          La déclaration est formelle : En vérité, l’un de vous me trahira. Elle les frappe dans ce sentiment qui n’est qu’une pierre d’attente, mais qui occupe les grandes profondeurs de leur âme. Ils sont stupéfaits et bouleversés. Ils ne doutent pas de ce qui leur est dit : ils ne dotent jamais de leur Maître. Leur état d’âme est celui de Pierre, qui d’ailleurs parlait au nom de tous, à l’annonce de l’Eucharistie qu’ils ne comprenaient pas d’avantage : Maître, tu as les paroles de la vie éternelle. Ils ont foi. Sur  cette base, Jésus peut construire, et cela suffit. L’heure, la manière, les circonstances, c’est son affaire. Il veut qu’on s’en remette à lui. C’est cette confiance qui deviendra, un jour, parfait amour et communication de forme.