Lamentations 5, 1-22

« Du ventre de l’enfer, le Seigneur entends nos supplications »

Père Hans Urs von Balthasar

Dieu et l’homme aujourd’hui, p. 257s

 

          L’Orient chrétien a gardé une certaine tradition que l’Occident a laissée échapper très tôt. L’image de la Rédemption, en Occident, est le Golgotha : le crucifié entre deux larrons, avec l’assistance de Marie, figure de l’Eglise, Mère des fidèles, et de saint Jean, l’apôtre de l’amour, à la garde de qui elle est confiée. C’est l’image de l’homme des douleurs, sa divinité restant cachée, et l’aspect terrible que la souffrance a sur terre.

            Pour l’Orient, l’image de la Rédemption est la descente du Christ aux enfers, l’ouverture forcée de la porte éternellement fermée, la main du Rédempteur tendue au premier Adam, qui n’en croyant pas ses yeux, contemple la lumière pascale dans les ténèbres de la mort. C’est ainsi que les Pères grecs ont toujours présenté la Rédemption dans leur prédication, c’est ainsi que les Byzantins et les Russes ont figuré l’événement rédempteur de l’au-delà.

            Cette vision de la Rédemption, comprenant ce qui est au-delà de la mort, doit nécessairement s’exprimer en images ; elle est celle qui est suggérée par la Bible, ou plus exactement par le passage de l’eschatologie de l’Ancien Testament à celle du Nouveau. L’humanité tout entière, après son expulsion du paradis, ne peut plus revenir à Dieu, à moins qu’un Rédempteur vienne de la part de Dieu. Ce Rédempteur est annoncé dans l’Ancien Testament pour les temps à venir, et sur terre, dans le temps éphémère, un rayon de lumière et d’espoir illumine l’avenir. Ce rayon ne brille visiblement tout d’abord que pour le peuple qui est porteur de la promesse. La vie divine, qui n’est encore donnée aux vivants que sous la forme de la promesse, ne pénètre provisoirement que dans les profondeurs du tombeau. La foi, l’espérance et la charité sont au ciel à demeure, elles ne peuvent habiter là où le ciel est fermé, et où la réalité dominante est la privation de la vision de Dieu : une telle réalité ne peut être éprouvée que comme spirituelle. Cette expérience spirituelle consiste à franchir la porte de l’enfer. Le tournant qui mène à la glorification se produit au jour de Pâques ; le Samedi saint, il n’y a encore aucune raison de chanter l’Alleluia. La descente de Jésus dans le royaume de la mort avant la Rédemption fait partie de ses abaissements. Cette marche à travers l’Hadès ne porte-t-elle pas la Rédemption dans l’Hadès ? Cette nuit, la plus sombre de toutes les nuits de l’âme, n’apporte-t-elle pas une lumière éternelle là où, sans cette descente au nom de tous dans la nuit, seule aurait régné une obscurité éternelle ?