Apocalypse 2, 1-11

L’Eglise d’Ephèse

Jacques Ellul

L’Apocalypse, architecture en mouvement, p. 156s

 

          La première lettre, adressée à Ephèse est centrée sur l’Amour. Cette Eglise semble irréprochable, capable de persévérance, de supporter la persécution ; elle veille avec soin sur la vie morale de ses membres, et sur leur doctrine. Cependant, si, aux yeux des hommes elle est impeccable, elle est soumise, elle aussi, à un jugement de Dieu : il n’est pas dit qu’elle a cessé de pratiquer les bonnes œuvres, ni qu’elle a abandonné sa position juste. Pourtant, on souligne l’opposition entre ces œuvres-là et les premières, celles du début, du moment de sa conversion, de son apparition en tant qu’Eglise. Les premières œuvres étaient le fruit du premier amour, de la joie, d’enthousiasme de la découverte de l’amour. Il s’agit donc ici, non de la foi et de son contenu, mais de l’amour. C’est-à-dire, peut-être de la spontanéité du lien avec Dieu, de la recherche de plaire en toute chose à ce Seigneur, d’un attachement toujours neuf, brillant et renouvelé, de la puissance de nouveauté à l’œuvre qui caractérise l’amour et de l’élan de la passion.

            Tout ceci est tombé. Ton premier amour, tu l’as abandonné. Tout s’est refroidi, aplati. Il s’agit en somme d’une Eglise qui est devenue institutionnelle, théologie, exacte, rigoureuse, morale, cessant de vivre par l’impulsion d’une force toujours nouvelle. Or, ceci est une décadence, c’est l’illustration du chapitre 13 de la première lettre aux Corinthiens sur l’amour fraternel. C’est l’amour au sens de Paul, mais aussi des lettres de Jean. Toutes les œuvres excellentes, nous dit notre texte, que l’on peut faire en dehors de cet amour, ne représentent rien. C’est donc l’opposition entre les œuvres en soi et l’exercice de l’amour. Souviens-toi d’où tu es tombée. Car l’amour est l’union même avec Dieu pour l’amour de Dieu. Les œuvres ne valent que si elles sont le fruit de l’amour même de Dieu agissant en nous. Elles n’ont aucune autre valeur, aucune valeur intrinsèque, et pas davantage la pratique de l’amour et de la pureté. Or, cette perte, cet oubli de l’amour est si grave que Dieu menace d’ôter le chandelier. Le Seigneur n’éteint pas la flamme, mais change le chandelier de place, c’est-à-dire que la flamme de la vérité et de l’amour sera donnée à quelqu’un d’autre. Une telle Eglise restera dès lors une Eglise apparemment vivante, mais en réalité vidée. Mieux vaut cesser d’avoir une Eglise, que d’avoir l’Eglise des traditions, des bonnes œuvres, de l’institution sans amour de Dieu, car c’est cet amour qui est la vie. Il s’agit donc de retrouver les premières œuvres, c’est-à-dire celles qui émanaient, directement, spontanément, de l’amour, celles qui étaient un beau fruit mûr, non un difficile devoir. Il s’agir de ne plus mettre ses propres œuvres à la place de Dieu.