Apocalypse 9, 1-12

Que rendre à Celui qui nous sauve ?

Saint Anselme

Les Méditations, Troisième méditation, OC 5, p. 427s

 

          Seigneur, Toi qui as accepté la mort pour que je vive, comment me réjouir d’être libre, ne l’étant que par les liens ? De quelle qualité sera mon plaisir d’être sauvé, ne l’étant que par tes douleurs ? Comment jouir d’être en vie, ne l’étant que par ta mort ? Jouirai-je de tes souffrances  et de la cruauté de ceux qui te les ont infligées ? Tu n’aurais pas souffert et que, si Tu n’avais pas souffert, ces bienfaits ne me seraient pas bons ? Ou bien, si je m’infligeais de ces souffrances, comment me réjouirais-je de ces bienfaits qui furent le mobile de tes souffrances et qui ne seraient pas sans elles ? Mais il est vrai, la méchanceté de ces bourreaux n’a rien pu faire que sur ta permission spontanée, et Tu as souffert que ne l’ayant voulu par tendresse. Je dois donc exécrer leur cruauté, imiter par compassion ta mort et tes labeurs, aimer en rendant grâces ta volonté de tendresse, et ainsi exulter en toute sécurité des bienfaits qui me sont octroyés.

          Homme de rien, laisse donc leur cruauté au jugement de Dieu, et réfléchis à ce que tu dois à ton Sauveur. Considère ce qu’il en était de toi, et ce qui a été fait pour toi. Pense quel est celui qui l’a fait pour toi, de quel amour il est digne. Observe le besoin où tu es, et sa bonté. Vois quelles grâces tu vas rendre, et tout ce que tu dois à son amour. Tu étais dans les ténèbres, tu dévalais la pente surplombant le chaos de l’enfer d’où l’on ne revient pas. Un poids énorme, comme du plomb, pendu à ton cou, t’entraînait. Un fardeau important d’écrasait, d’invisibles ennemis t’attaquaient de tout leur élan. Ainsi étais-tu sans aucun secours et tu ignorais avoir été conçu et être né en cet état. Ô qu’en était-il de toi et à qui ces choses te ravissaient-elles ! Crains à t’en souvenir, tremble à y penser.

          Ô Seigneur Christ Jésus, quand j’étais en cet état, sans requête, sans opinion, Tu m’as éclairé comme un soleil, et Tu m’as montré tel que j’étais. Tu m’as pris sous ta garde pour que rien ne nuise à mon âme contre sa volonté. Or, voici : je n’ai pas encore adhéré à Toi comme Tu me l’as conseillé ; et pourtant, Tu n’as pas encore permis que je tombe en enfer. Mais Tu attends encore mon adhésion pour faire ce que Tu as promis.