Apocalypse 4, 1-11

Aux origines du culte chrétien : le Sanctus

Pierre Prigent

L’Apocalypse, p. 61s

 

           C’est bien du culte dont il est question dans cette vision de Dieu trônant sur sa création dont les éléments se retrouvent clairement, la terre, symbolisée par les quatre animaux, le ciel et la terre : la voix des animaux chante un cantique qui, emprunté au prophète Ezéchiel, occupe une place centrale dans les liturgies chrétiennes aussi haut qu’on puisse remonter dans le temps. On appelle habituellement Sanctus cette acclamation par référence à sa version latine. Cite-t-on d’après le grec : on parlera du Trisagion, exactement Trois fois saint ; en hébreu  Qedousha, saint. Mais le plus remarquable est de trouver la Qedousha déjà dans les liturgies juives qui remontent plus haut dans le temps que l’époque de la rédaction de l’Apocalypse.

            Il faut regarder cela de plus près : les prières de la liturgie matinale de la synagogue forment trois bénédictions. La première est appelée Yotser, Créateur. Elle bénit Dieu en tant que Créateur. Or, la création y est évoquée par le moyen du symbolisme des quatre animaux d’Ezéchiel, et la prière culmine en mentionnant le culte rendu au Dieu créateur et qui s’exprime par le chant de la Quedousha.

            La coïncidence est trop belle pour être fortuite : le culte céleste dont parle l’Apocalypse, dans ce chapitre 4, s’inspire évidemment d’un culte terrestre dont la liturgie est empruntée par le christianisme au judaïsme dont il est issu. L’Apocalypse nous propose ainsi une interprétation très valorisante de la liturgie de l’Eglise en nous la présentant comme célébrée au ciel, sans doute faut-il comprendre que son origine est céleste. S’adressant à des communautés chrétiennes souvent faibles et menacées, la vision leur ouvre le ciel. Alors on peut voir que Dieu, dans toute sa gloire, n’est pas adoré avec d’autres mots, ni d’autres chants que ceux qui composent les habituelles liturgies.

            C’est dire que, dans le culte, les chrétiens participent à l’adoration que le cosmos fait monter vers son Créateur. Le culte est donc comme un instant d’éternité dans notre temps, et comme un pont entre la terre et le ciel. C’est assurément  tout autre chose que le discours d’hommes réunis par un commun dessein.

            Ajoutons que l’écho qui nous parvient de cette très ancienne liturgie en a conservé le caractère décidément eucharistique : c’est une action de grâce, ce qui est le sens premier du mot eucharistie.

            Reconnaître Dieu présent dans le monde, c’est comprendre le sens de celui-ci et en célébrer l’auteur. L’Eglise prête ici sa voix à l’univers pour chanter Dieu. Comment le ferait-elle sans essayer de donner à sa prière toute la beauté du monde ?