Luc 1, 39-56

D’où m’est-il donné… ?

Adrienne von Speyr

La servante du Seigneur, p. 49s

 

          Elisabeth en est déjà à son sixième mois. Et pourtant c’est seulement maintenant qu’elle commence à s’en étonner. A vrai dire, elle aurait dû commencer à le faire il y a six mois et, d’une certaine façon, elle l’a fait. Mais c’est maintenant seulement, en présence de la Mère de Dieu, qu’elle comprend qu’il s’agit de quelque chose de bien plus grand que ce qu’elle avait alors supposé : D’où m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne à moi ? Elle voit en Marie la Mère du Seigneur, et en elle-même une simple femme enceinte. Cet écart qui lui semble si énorme la dépasse complètement et l’oblige à poser cette question. Mais, à l’instant où elle la pose, la question est déjà résolue. Elle n’est pas seule : elle se trouve au centre d’une mission qui ne s’épuise pas en elle, mais qui, au contraire, ne prendra sa forme précise et développée que dans son enfant. Tant qu’elle ne voyait qu’elle-même, elle ne comprenait pas la partie opposée. Mais, en interrogeant, elle comprend qu’elle n’est pas seule, pas plus que ne l’est Marie. Au sens le plus profond, cette visite n’est pas celle de Marie à Elisabeth, mais du Christ à Jean. Les deux mères ne sont là que les intermédiaires de leurs fils. Ainsi la réponse se trouve en Elisabeth qui pose la question, et pourtant, pas en elle, mais en son fils ; elle-même n’est que le porteur de cette réponse.

          La question d’Elisabeth : D’où m’est-il donné… ? est un écho de l’inquiétude antérieure de la Mère. Elisabeth est troublée. Dans son acte d’abandon à Dieu dans la foi, il y avait une sorte d’aperçu général du sens de ce qui lui arrivait. Elle pensait sans doute que sa stérilité avait fait place à la fécondité pour que Zacharie et elle connaissent la joie d’un enfant. Maintenant elle comprend soudain que sa mission est de nature céleste, dépassant la sphère de sa personne, que toute grâce n’est donnée que pour déborder et être transmise, et que cette grâce qui lui est accordée se multipliera dans son fils. Elle-même n’est encore que le point de départ d’un mouvement incommensurable ; et le fait qu’elle s’en rende compte suscite en Elisabeth une inquiétude qui a un double effet : l’Esprit-Saint l’ouvre à Dieu et la Mère du Seigneur relie au monde celle qui s’est ainsi ouverte. Marie joue le rôle que tenait l’ange auparavant : elle communique la mesure humaine. Son arrivée a troublé sa cousine ; son séjour la rassure.