Luc 1, 57-66+88

La Voix et le Verbe

Saint Augustin

Sermon 288, OC 18, p. 482s

         

          Regardons attentivement en quoi différent la Voix et la Parole. Qu’est-ce que la voix ? Qu’est-ce que la parole ? Il n’y a de parole qu’autant qu’il y a signification. Lorsque la voix ne fait que résonner, retentir, sans présenter aucun sens, comme le son que fait entendre un homme qui crie plutôt qu’il ne parle, c’est une voix, ce n’est point une parole. J’entends des gémissements, c’est une voix ; des lamentations, c’est une voix ; c’est un son informe qui retentit à l’oreille sans présenter aucune idée à l’intelligence. Mais on ne peut dire qu’il y a parole que lorsqu’il y a une signification et que l’idée qui se présente à l’esprit est différente du bruit qui frappe les oreilles. Si vous criez, c’est une voix ; si vous prononcez les mots, homme, troupeau, Dieu, monde, ou tout autre semblable, c’est une parole, car tous ces mots ont une signification et ne sont pas des bruits vides de sens, de vains sons qui n’apprennent rien.

            Si vous avez bien retenu cette distinction entre la voix et la parole, écoutez ce que vous devez admirer dans Jean-Baptiste et dans le Christ. La parole, même séparée de la voix, a sa valeur et son efficacité, tandis que la voix sans parole n’est rien.

            Considérez maintenant ce que signifient ces paroles : Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue. Oh ! Le grand et l’admirable mystère ! Considérez la voix en personne, qui résumait en elle symboliquement toutes les voix ; les voix diminuent et se taisent lorsque le Verbe croît parce qu’Il faut qu’il croisse et moi que je diminue. Sans doute le Verbe, considéré en lui-même ne peut ni croître, ni décroître. Mais on dit qu’il croît en nous lorsque nous croissons en lui par nos progrès dans la vertu. C’est ainsi que la lumière croît pour les yeux, lorsque l’œil, rendu à la santé, voit beaucoup mieux la lumière que lorsqu’il était malade. La lumière étant plus faible pour les yeux affaiblis, elle est plus forte pour les yeux transparents ; et cependant, par elle-même, elle n’a subi aucune diminution, aucun accroissement. Le ministère de la voix s’efface donc à mesure que l’âme s’approche du Verbe. C’est dans ce sens qu’il faut que Jésus-Christ croisse et que Jean diminue. C’est ce que signifient également leurs morts si différentes. Jean a été comme diminué, ayant eu la tête tranchée ; Jésus-Christ a été élevé, et a comme grandi sur la croix. C’est encore ce qu’indiquent les jours où ils sont nés, car, depuis la nativité de Jean, les jours commencent à décroître, et, à partir de la naissance du Christ, ils commencent à augmenter.