Juges 4, 1-24

Débora et Baraq

Père Jean Steinmann

Les Juges, p. 45s

 

          Le récit que nous venons d’entendre fait intervenir le plus beau personnage du Livre des Juges : Débora. Les événements qu’elle suscite sont relatés une première fois en prose et une seconde fois en vers dans le cantique qui porte son nom.

Le récit en prose de cette bataille est très concentré, très stylisé ; il pourrait servir de scénario à une tragédie jouée par plusieurs personnages : d’un côté, le tyran, Yabin, roi de Canaan, représenté par son chef d’armée, Sisera, oppresseurs des fils d’Israël ; de l’autre, la libératrice, Débora, mot qui signifie l’Abeille, prophétesse, juge et poète en Israël, inspirée par Dieu ; ensuite son confident, Baraq de Nephtali ; enfin l’allié perfide, Yaël, femme de Héber le Qénite, chef d’une tribu nomade.

Quant aux neuf cents chars de fer des Cananéens et aux dix mille Israélites de l’armée de Baraq, en dépit de leur nombre, ils n’ont aucune présence dans le récit et demeure de simples entités.

Débora donne à Baraq, c’est-à-dire l’Eclair, l’ordre de constituer une armée et de livrer combat aux Cananéens. Baraq n’accepte qu’à la condition que Débora soit à ses côtés. Il faut voir là un effet du prestige religieux de Débora, mais aussi le fait qu’à cette époque on ne livrait combat qu’après avoir pris conseil de la divinité par l’intermédiaire des sorts, des prophètes et des songes. Sentant l’entreprise difficile, Baraq veut mettre dans son jeu des atouts sûrs.

Yaël est la femme de Héber le Qénite, tribu du beau-père de Moïse ; les Qénites avaient leur point d’attache au sud de Juda ; loin de leur pays, ils étaient en paix avec les Cananéens qui leur accordaient le droit de camper sur leur territoire et d’y faire paître leurs troupeaux.

Aucune allusion n’est faite, dans ce récit en prose, à la crue du torrent, le Qishôn, qui emporte l’armée de Siséra. Seul Siséra se sauve et cherche refuge chez les Qénites. Yaël le reçoit avec beaucoup de courtoisie, lui offre un délicieux yaourt, le leben. Profitant ensuite du sommeil confiant de Sisera, Yaël l’assassine lâchement. Le narrateur n’explique pas, n’excuse pas la conduite de Yaël, il se borne à rapporter les faits. Yaël apparaît comme l’instrument impassible de la justice divine.

Israël triomphe, mais les résultats pratiques de la bataille ne sont pas rapportés. Il s’agit d’une victoire morale qui met fin à la dépendance des tribus israélites de la plaine à l’égard des villes cananéennes et qui leur prouve qu’elles sont plus fortes que les terribles chars de fer si Dieu est à leur côté. C’est une première étape dans le nationalisme des Israélites qui se confond d’ailleurs avec le culte du Dieu d’Israël.