Genèse 12, 1-9 + 15, 1-6

Les trois renoncements

Saint Jean Cassien

Conférences, tome I, SC 42, conférence III, 6, p. 145s

 

          Le premier renoncement est corporel : c’est celui qui nous fait mépriser toutes les richesses et les biens de ce monde. Par le deuxième, nous renions notre vie passée, nos vices, nos passions de l’esprit et de la chair, le troisième consiste à retirer notre esprit des choses présentes et visibles, pour contempler uniquement les choses à venir et ne désirer plus que les invisibles.

          Qu’il les faille accomplir tous trois, c’est le commandement que le Seigneur déjà faisait à Abraham, lorsqu’il lui dit : Sors de la terre, et de ta parenté, et de la maison de ton père.

          Sors de la terre : c’est-à-dire, renonce aux biens de ce monde et à ses richesses.

          Sors de ta parenté : c’est-à-dire, renonce à ta vie et à toutes tes habitudes d’autrefois, à tes vices aussi : toutes choses qui nous sont si étroitement unies depuis notre naissance qu’elles en ont contracté avec nous comme une sorte d’affinité, voire de parenté de nature, et qu’elles semblent en vérité de notre sang.

          Sors de la maison de ton père : c’est-à-dire, bannis de tes regards tout souvenir du monde présent.

          Nous avons deux pères, en effet, l’un qu’il faut quitter, l’autre qu’il faut suivre. David les marque tous deux au même endroit des psaumes, lorsqu’il fait dire à Dieu : Ecoute, ma fille, et regarde : oublie ton peuple et la maison de ton père. Celui qui dit : Ecoute, ma fille, est père indubitablement. Il ne laisse pas néanmoins de témoigner que celui, dont il fait un devoir d’oublier la maison et le peuple, est aussi le père de sa propre fille.

          Or, cet oubli se fait lorsque, morts avec le Christ aux éléments de ce monde, nous contemplons, selon le mot de l’apôtre, non plus les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient pas : les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles, désertant de cœur cette demeure temporelle et visible, nous portons nos regards vers celle où nous habiterons éternellement. Cet état sera le notre dès là que, vivant dans la chair, nous cesserons cependant d’agir selon la chair, pour militer au Seigneur, et qu’en toute vérité nous pourrons redire la parole de l’apôtre : Pour nous, notre cité est dans les cieux.