2 Rois 18,37 – 19,19.35-37

Fonction de la prière

Guigues II leChartreux

Lettre sur la vie contemplative, SC 163, p. 65s

 

L’âme a donc vu qu’elle ne peut atteindre par elle-même la douceur désirée de la connaissance et de l’expérience. Plus elle s’élève, plus Dieu est distant. Alors qu’elle s’humilie et se réfugie dans la prière : Seigneur que seuls les cœurs purs peuvent voir, je recherche, par la lecture et la méditation, ce qu’est la vraie pureté de cœur, et comment on peut l’obtenir, pour devenir capable par elle de te connaître au moins un peu. J’ai cherché ton visage, Seigneur, j’ai cherché ton visage. J’ai longtemps médité dans mon cœur, et dans ma méditation s’est développé immensément un feu, le désir de te connaître davantage. Quand tu me romps le pain de la Sainte Ecriture, tu m’es connu par cette fraction du pain ; plus je te connais, plus je désire te connaître, non plus seulement dans l’écorce de la lettre, mais dans la connaissance savourée de l’expérience. Et je ne demande pas ce don, Seigneur, à cause de mes mérites, mais en raison de ta miséricorde. J’avoue, en effet, que je suis une âme pécheresse, indigne ; mais les petits chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Donne-moi donc, Seigneur, les arrhes de l’héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour me rafraîchir dans ma soif, car je brûle d’amour.

Par de tels mots brûlants, l’âme enflamme son désir, elle montre ainsi l’état auquel elle est parvenue ; par ces incantations, elle appelle son Epoux. Or, le Seigneur,dont le regard se pose sur les justes, et qui seulement écoute leurs prières, mais se rend attentif au cœur même de la prière, n’attend pas que celle-ci soit tout à fait achevée. Il interrompt cette prière au milieu de son cours, il se présente à l’improviste, il se hâte de venir à la rencontre de l’âme qui le désire, baigné de la rosée d’une céleste douceur, oint des parfums les plus précieux ; il recrée l’âme fatiguée, il nourrit celle qui a faim, il rassasie son aridité, il lui fait oublier tout le terrestre, il la vivifie en la mortifiant par un admirable oubli d’elle-même, et en l’enivrant la rend sobre. Dans cette contemplation supérieure, les mouvements de la chair sont à ce point absorbés et dominés par l’âme que la chair ne contredit en rien à l’esprit et que l’homme devient quasi tout spirituel.