Jérémie 19,1-5+10 – 20,6

La cruche brisée

Père Jean Steinmann

Le prophète Jérémie, sa vie, son œuvre et son temps, p. 179s

 

          En lui inspirant le geste de briser une gargoulette, Dieu poussait Jérémie à continuer une tradition prophétique : celle de l’enseignement par mimes. Un orateur, au tempérament timide, aime sentir l’appui d’un acte qui l’engage. Casser une gargoulette en public, à la Porte de la Poterie où se trouvaient des tas de tessons, permettait à Jérémie de libérer son irritation rentrée, et de trouver sur place les images d’une improvisation passionnée. Comme lors de son aventure avec sa ceinture pourrie, le prophète s’identifiait à Dieu. Il jouait d’avance la catastrophe et son jeu dans l’esprit des spectateurs était doué d’une efficacité redoutable. De même qu’on répandait de l’eau pour faire pleuvoir, casser la gargoulette, c’était briser Jérusalem en effigie, déclencher les forces qui provoqueraient sa ruine. Ainsi Ahia de Silo avait déchiré son manteau et l’unité d’Israël avait été rompue ; Elisée mourant avait fait tirer des flèches par sa fenêtre vers l’Orient et les Araméens avaient été battus ; Isaïe avait gravé le nom de son futur garçon sur un sceau et l’enfant était né. Le geste significatif avait provoqué la chose signifiée, naturellement sur l’ordre et grâce à l’intervention de Dieu, mais en relation étroite entre le geste prophétique et l’événement prophétisé.

          Jérémie aggrave son mime par un discours dans le Temple. Il est alors arrêté et victime des sévices d’un commissaire de police trop zélé. La bastonnade et la nuit au carcan dans la prison de la porte de Benjamin ne sont pas considérées comme plus graves que de nos jours une nuit passée au poste de police. Pashour n’ose aller plus loin, car il sait Jérémie protégé par une fraction importante de l’opinion publique et de la cour.

          Ces conflits entre prophètes et fonctionnaires étaient fréquents. Jérémie avait déjà eu un procès. Un siècle et demi plus tard, Amasias de Béthel avait chassé Amos, Sebna avait mérité la haine d’Isaïe. Comme Amasias et Sebna, Pashour se voit promis à l’exil. Son nom qui signifiait mis en pièce est remplacé par celui de Magor qui signifie la terreur. Jérémie se hâte d’en fournir l’exégèse. La bastonnade ne pouvait faire taire le prophète, bien au contraire : un très court oracle exprimait le mépris divin à l’endroit du peuple.