Jérémie 28, 1-17

L’altercation entre Jérémie et le prophète Hananya

  1. Aeschimann

Le prophète Jérémie, Commentaire, p. 161s

 

Comme les avertissements réitérés de Jérémie, la réaction des prophètes, sur le moment ou un peu plus tard, est violente. Logique aussi, d’ailleurs, car ces hommes sont des croyants et des patriotes. A leurs yeux, Dieu doit bénir Israël et mettre fin rapidement à ses épreuves. Et quiconque met cela en doute est, par définition, un mauvais patriote et un impie. Donc, avec une conviction dont rien ne nous permet de suspecter la sincérité, Jérémie accuse son adversaire d’erreur, et non d’hypocrisie ; Hananya, le chef ou l’un des chefs des prophètes nationalistes se dresse contre le défaitisme, et affirme que le fameux joug va être brisé. Deux ans encore, et les objets sacrés du Temple seront rapportés, les captifs rentreront et Jékonias lui-même, le roi détrôné, reviendra. Oui, le joug de Babylone sera cassé ! Oracle du Seigneur.

A cette offensive décidée, que va répondre Jérémie ? Par ces mots étranges : Que Dieu fasse comme tu dis ! On comprend difficilement une telle parole, quand on sait quelle a été la pensée constante du prophète sur ce point. Mais c’est précisément l’invraisemblable de cette parole qui garantit son authenticité. On ne l’aurait pas inventée ! Il y a tout lieu de croire que c’est le patriotisme ardent et incompressible de Jérémie qui lui a dicté ces mots surprenants. S’ils nous étonnent tellement, c’est que nous rencontrons rarement des hommes assez sincères pour paraître se déjuger lorsqu’une raison profonde l’exige.

Invraisemblablement sincère avec lui-même, Jérémie ose donc dire qu’il souhaiterait que son adversaire ait raison. Mais il ne peut pas oublier pour autant la mission qui est la sienne, et l’esprit dans lequel il l’accomplit. Il réfléchit donc, tout haut, sur la valeur des prophéties, celle d’Hananya et les siennes. Lui, il prédit le malheur, et cela lui est assez dur pour qu’on ne puisse pas le soupçonner d’être mû par des intérêts personnels, pas plus que ne l’ont été les grands prophètes du passé qui ont marché dans la même ligne que lui. Mais les autres prophètes, les prophètes tout va bien, les prophètes qui gagnent leur vie à prophétiser un avenir heureux, ceux-là peuvent se laisser guider, et en fait ils se laissent souvent guider, par des préoccupations intéressées. Et alors il n’y a que la réalisation de leurs prophéties qui puisse lever les doutes et attester la vérité de leurs prédictions. Il se peut, et le cœur patriotique de Jérémie le souhaite, que son adversaire ait raison. Mais on ne pourra le croire que lorsque l’événement aura montré qu’il ne se trompait pas.