Ezéchiel 20, 27-44

L’expérience de Dieu chez sainte Elizabeth de Hongrie

André Vauchez

Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, Tome VI, p. 128s

 

On se ferait une fausse idée de sainte Elizabeth de Hongrie en voyant dans sa charité la simple expression d’un tempérament généreux ou d’une douceur naturelle. Cette femme pouvait être dure et on l’accusa de l’être lorsqu’elle se sépara de ses enfants pour mieux servir les déshérités, ou encore lorsqu’elle accueillit sans verser de larmes les restes de son époux ramenés d’Italie. Au-delà de ces questions de caractère, il est certain que ses comportements, qui l’ont fait traiter de folle par certains de ses proches, ne trouvent leur explication que dans une expérience religieuse très profonde. A partir de la fin du XIII° siècle, ont circulé dans toute la chrétienté des révélations attribuées à sainte Elizabeth, dont l’authenticité est plus que douteuse. Mais il est significatif que l’on ait admis, sans discussion, que son intimité avec Dieu était telle qu’elle aurait pu recevoir de lui des messages particuliers. Nous sommes malheureusement bien moins renseignés sur la vie spirituelle de sainte Elizabeth que sur ses bonnes œuvres, mais ce que nous en disent ses compagnes, Guda et Isentrude, suffit à suggérer qu’elle fut une authentique mystique. Non contente de prier jour et nuit, elle entretenait avec le Seigneur un dialogue confiante et intime, marqué par des rires, des pleurs et des chants d’action de grâces. Le Christ est pour elle une personne vivante dont elle reçoit des consolations dans ses épreuves et auquel elle demande une protection particulière lorsque tous ceux qui auraient dû la soutenir la persécutent. Ayant tout laissé pour le Christ, elle aspire à s’unir à lui, comme en témoigne le passage suivant de la déposition des servantes : Elle resta longtemps dans un profond silence, ne prononçant pas un seul mot ; enfin ces paroles lui échappèrent tout à coup : Oui, Seigneur, vous voulez être avec moi, et je veux être avec vous et n’être jamais séparée de vous. Plus tard, elles lui demandèrent de leur dire, pour l’honneur de Dieu et pour leur édification, ce qu’elle avait vu. Elle se laissa convaincre par leur importunité : J’ai vu, leur dit-elle, le ciel ouvert et Jésus se penchant vers moi avec une extrême bonté, me montrant le visage le plus ouvert. J’étais inondée d’une joie ineffable de le voir ; quand il se retirait, j’étais accablée d’une grande tristesse ; alors il eut pitié de moi et me réjouit encore une fois de la vue de son visage,et me dit : Si tu veux être à moi, je veux bien être à toi.

Dans un langage qui est celui de l’amour courtois, ce dialogue de l’amant et de l’âme aimée atteste la profondeur de sa relation à Dieu, consolateur des affligés, qui se manifesta une dernière fois au moment de sa mort, lorsqu’elle déclara, juste avant de s’endormir dans la paix : Le moment arrive où le Dieu tout-puissant appelle ses amis aux noces célestes.