Ezéchiel 47, 1-12

Le rocher du Temple

Cardinal Jean Daniélou

La source du Temple, Etudes d’exégèse judéo-chrétienne, p. 122s

 

Le texte d’Ezéchiel rassemble un certain nombre de thèmes qu’il faut d’abord préciser. Le premier est le rocher du Temple. Ce rocher est d’abord une réalité géographique. Lorsque David se fut emparé de Jérusalem, il y introduisit l’Arche d’Alliance, à laquelle était attachée la Présence de Dieu, et il dressa le tabernacle dans lequel elle était conservée sur une aire rocheuse qui avait appartenu à un certain Nakôn (2 Samuel 6,6). C’est sur cette roche que Salomon fit construire le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Aujourd’hui encore, quand on entre dans la mosquée d’Omar, cet édifice circulaire qui se trouve dans l’enceinte du Temple de Jérusalem, on peut voir cette plaque rocheuse,qui est à la fois un des lieux les plus historiquement certains et les plus religieusement sacrés de l’histoire humaine.

 

Autour de ce rocher du Temple, la spéculation juive ultérieure développera des thèmes divers. Elle verra en lui le milieu du monde, le centre de l’Univers. Il sera considéré comme le pilier cosmique sur lequel repose la terre et qui plonge dans les eaux inférieures. C’est au Golgotha, le lieu du crâne, que la légende juive, et à sa suite Origène, situera le tombeau d’Adam. C’est là que l’on placera le sacrifice d’Abel et le sacrifice d’Isaac. Mais le roc sur lequel est construit le sanctuaire prendra aussi une signification symbolique. La communauté de Qumrân y verra le symbole de Dieu, le Rocher. C’est sur ce rocher qu’est construit le nouveau Temple qui est la communauté elle-même. Et c’est parce qu’elle est construite sur ce rocher que les grandes eaux, symbole des forces du mal, ne pourront pas l’ébranler. Nous retrouvons ce thème en saint Matthieu : la communauté chrétienne fondée sur le roc de la Parole de Dieu ne peut être ébranlée.

 

Dans le texte d’Ezéchiel, c’est de ce rocher, sous le seuil du Temple, du côté de l’Orient, que jaillissent les eaux : c’est une donnée symbolique. Elle peut se rattacher d’abord à la représentation du rocher du Temple comme plongeant dans les eaux inférieures. Par ailleurs, le récit de la sortie d’Egypte  contient l’épisode du rocher frappé par Moïse et d’où jaillit l’eau vive. Il est très vraisemblable que ce thème ait été transposé au rocher de Jérusalem. De même que Dieu avait fait jaillir l’eau vive du rocher au moment de l’Exode, de même il fera jaillir l’eau vive du rocher du Temple à la fin des temps. Dans les deux cas, il s’agit d’une merveille de Dieu, le Sinaï est la préfiguration de la Sion eschatologique.