Isaïe 30, 27-33 + 31, 4-9

De l’âme qui aspire à voir Dieu

Saint Jean de la Croix

Oeuvres complètes, Premier recueil : poèmes, p. 135s

 

Je vis, mais sans vivre en moi-même, et mon espérance est si haute,

que je meurs de ne pas mourir.

Déjà, je ne vis plus en moi, et sans mon Dieu je ne puis vivre ;

privé de lui, loin de moi-même, que pourra donc être ma vie ?

A mille morts, je la compare, car j’attends ma vie, ma vraie vie,

en mourant de ne pas mourir.

Je le déclare vivre ainsi, en vérité, ce n’est point vivre.

Ah ! C’est rendre l’âme sans cesse que d’attendre ainsi ta présence.

Entends , ô mon Dieu, ma demande ! Je ne puis plus porter la vie :

Je meurs de ne pas mourir.

Toujours être éloigné de toi. Ah ! Je te le demande, est-ce vivre ?

C’est plutôt endurer la mort, la mort à nulle autre pareille,

puisqu’à chaque moment, toujours, je me meurs de ne pas mourir.

Le poisson qu’on tire de l’onde trouve, lui, son soulagement,

car la mort lui apporte enfin ce qu’il désire éperdument.

Mais quelle mort peut égaler ce qu’est pour moi cette existence ?

Vivre encor, c’est encor mourir.

Je crois trouver allègement à te voir dans ton Sacrement,

mais ma douleur ne fait que croître, car de toi je ne peux jouir ;

oui, tout augmente mon tourment, car toujours tu restes voilé.

Et je meurs de ne pas mourir.

Si je me réjouis, Seigneur, dans l’espoir de te voir un jour,

la pensée que je puis te perdre, aussitôt double mon supplice :

vivre dans un pareil effroi et me consumer de désir,

c’est mourir de ne pas mourir.

Arrache-moi de cette mort, ô mon Dieu, donne-moi la vie ;

ne me retiens pas davantage sous une chaîne si pesante ;

je languis de ne pas te voir, et sous cette douleur amère,

je meurs de ne pas mourir.

Je pleurerai ma mort maintenant, et me lamenterai de ma vie.

Puisqu’elle est retardée par mes péchés. Ô mon Dieu, quand sera-ce que je vous dirai pour de bon : je vis maintenant de ne pas mourir ?