Genèse 22, 1-19

L’expérience d’être homme

Dom Jean Leclercq 

Regards monastiques sur le Christ au Moyen Age

Saint Bernard et les Cisterciens, p. 206s


Pourquoi un Dieu homme ?, avait demandé saint Anselme. Saint Bernard reprend la question et y répond au moyen d’un vocabulaire qui traduit l’idée d’une connaissance expérimentale. Le Verbe de Dieu a voulu, dans le Christ, expérimenter la condition humaine. Bernard eut l’occasion de l’affirmer contre Abélard qui, selon lui, évacuait ce fait. Or, il y va de la réalité même de l’Incarnation. Dès son premier traité, Sur les degrés d’humilité, Bernard en avait parlé longuement. Car, y dit-il, on ne lit pas : le Verbe s’est fait ange, mais le Verbe s’est fait chair, et chair de la descendance d’Abraham. Plusieurs fois dans son œuvre, il insistera sur le fait que le Christ a eu une expérience d’homme que l’ange n’avait pas eue. Ici, en même temps, il insiste sur la divinité de Jésus. Bernard admet en lui, quant au jour de son retour en gloire, une certaine part d’ignorance possible, et sa science divine est un mystère. Mais il proclame que le Christ a fait un véritable apprentissage de la condition humaine. Bernard s’appuie sur des versets de la lettre aux Hébreux disant que le Seigneur a passé par les mêmes épreuves que nous, sauf le péché, afin d’apprendre par l’obéissance de ce qu’il a souffert ce que c’est qu’obéir, devenir miséricordieux et savoir compatir. Avant l’Incarnation, le Fils éternel n’avait pas la connaissance expérimentale de la sujétion et de la miséricorde. En sa Passion, le Verbe incarné l’a acquise. Ainsi ce que le Fils savait par sa science divine, il ne le savait pas pour en avoir fait l’expérience au moyen des sens que possédait sa chair. Il fallait qu’en celle-ci il devînt misérable pour accéder à l’expérience qu’il n’avait pas. Ce recours, presque monotone, au vocabulaire de l’expérience, fait entrevoir la nouveauté que fut en Dieu l’expérience du Fils incarné. En apprenant l’obéissance par la souffrance, le Fils est devenu notre grand prêtre. En lui, l’un d’entre les humains nous unit au Père et nous donne le salut. A nous maintenant d’avoir part à la miséricorde qu’il a apprise en partageant notre misère.