Osée 2, 16-25 ou 1 Corinthiens 7, 25-40

« Je vais la séduire, la conduire au désert »

Mgr Albert Rouet

Source Vives : Vivre le désert, n° 138, p. 124

 

On dit facilement que le désert dénude. C’est vite dit. Il dépouille du superflu, il rend l’indispensable encore plus essentiel. Les outres d’eau et les piquets de tente deviennent précieux. La vie se suspend à quelques objets nécessaires. Ni l’opulence, ni la misère, mais cette pauvreté qui sait ce qu’elle doit aux choses utiles. Habiter le désert leur donne un goût vital. Ainsi pour la parole : ni discours, ni mutisme, mais bien ce qu’il faut.

Homme de la ville, saint Paul demande à Timothée d’insister à temps et à contre-temps. Le propos concerne les fidèles. Dans le désert du monde, il convient d’être plus circonspect. D’abord écouter les rumeurs du vent, les silences subits, le chant du sable, les sifflements des pierres qui craquent. Plein de bruits font sens. La parole devient juste quand elle s’ajuste à ces soupirements, à ces cris. En cela, elle répond. Si l’Eglise n’aime pas le désert qui l’habite, elle n’entendra rien et ne parlera à personne.

C’est tout aussi vrai pour sa prière. A trop insister sur la prière comme dialogue, on perd de vue que la prière nourrit le désir. Elle prend conscience de la distance et, par là-même, ouvre le désert à traverser avant de rejoindre la Montagne de Dieu. Elie, là-haut, rencontre un surprenant Dieu de douce brise qui l’envoie en mission. Le prophète retraverse le désert. Ainsi marcheront les Mages.

Le désert intérieur à l’Eglise possède de nombreuses pistes. Aucune ne traverse tous les points. Il lui suffit d’avancer. Cette nécessité souligne une vérité : que la marche passe toujours par une fragmentation de l’espace : un seul chemin à la fois. Le renoncement à la globalité, à tout saisir, à vouloir être présent partout, à parler sur tous les sujets, cette ascèse est indispensable en ces terres arides où l’ardeur compte plus que l’emprise, et l’espérance plus que l’amplitude. Sinon, le quadrillage fige de manière illusoire un espace que traverse le vent. L’impossible à faire système caractérise le désert. Sinon, il fait retourner aux pièges desséchés de la captivité.

L’enjeu de cet espace indéfini est considérable : il garde intacte l’espérance du Royaume. Il ne cherche pas à en tracer définitivement les contours. Sans arrêt, le vent modèle les dunes ; ainsi le Royaume, comme mouvement, ne se tient pas ici ou là, pas même au désert. Mais il faut beaucoup de déserts pour apprendre qu’il est autre. C’est à ce prix que le désert devient le lieu de la rencontre, dans la pesanteur des étapes et la liberté du désir. Alors les deux aspects, de l’alliance et des périls, en appellent au même courage, au même combat : oser affronter à mains nues l’espace aride et flamboyant du désir de l’Autre, du désir de Dieu.