Luc 1, 39-56

Magnificat

France Quéré

Marie, p. 59s 

 

Marie, peu après la visite de l’ange, se rend en hâte chez Elisabeth, sa parente. Au salut de celle-ci, elle répond par un hymne auquel la traduction latine a donné le nom de Magnificat. C’est en effet le chant de toutes les grandeurs.

Marie ne s’y abandonne pas à la confidence. Elle tisse ensemble des fragments de l’Ecriture, pris dans les livres de Samuel, d’Isaïe, de Job, de Michée et des psaumes. Cette femme est une Bible ouverte ! Elle la retire au silence du parchemin, et lui prête, ce jour-là, sa voix innocente et claire. 

Celle qui a été choisie entre les femmes, pour un destin définitivement singulier, s’en retourne à la parole de tous ; elle ne saurait s’isoler : ce qui lui a été dit la met inséparablement, et plus que jamais, au cœur des siens, et ses mots à elle sont leurs propres clameurs, sa joie, leur plus chère espérance.

L’élue entre toutes entraîne avec elle ceux qui, comme elle, attendent la pleine humanité du monde. C’est votre honneur, c’est votre liberté qui germent dans son sein ! Marie ne parle d’elle que pour la convocation des multitudes. Six allusions à soi, toutes se condensent dans les trois premiers versets.

Après, elle est comme engloutie dans le grand fleuve qui s’élargit vers son embouchure étincelante ; tout le peuple s’emporte dans le dessein de Dieu, les fidèles, les orgueilleux, les puissants, les humbles, les affamés, les riches. Qui a été oublié ? L’horizon s’augmente encore de l’infini du temps. Ce qui advient n’est pas seulement pour aujourd’hui, mais, et elle insiste, pour toutes les générations, d’âge en âge, et à jamais.

Elle n’a parlé d’elle que par reconnaissance envers celui qui a incliné son regard ; oui, le Magnificat mérite son nom, c’est le poème de tous les élargissements. Regardons encore. Jamais Marie ne nomme Jésus. Même quand l’ange lui annonce qu’elle en sera la mère, elle ne pose aucune question sur ce fils exceptionnel. Plus diserte, Elisabeth salue le fruit de son sein et son Seigneur. Marie n’y répond que par des grands mots d’humanité. Sur l’opération mystérieuse survenue en elle, elle garde le silence. L’allégresse des bergers, les cérémonies au Temple la laissent muette. Ce sont les autres qui s’extasient. Elle les écoute, surprise, dit Luc, comme si elle ne prévoyait pas, ne comprenaient pas les louanges proférées par les admirateurs.