Actes des Apôtres 21, 1-26

Le dilemme : le martyr ou la mission

Jacques Cazeaux

Les Actes des Apôtres, p. 271s 

 

Poussés par l’Esprit, les disciples de Tyr disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem. On se demande ce que pouvait signifier l’Esprit en interdisant à Paul d’aller à Jérusalem, où pourtant le témoignage de Paul rejoindrait heureusement celui d’Etienne. Il en va de la vérité de la mission, et c’est l’Esprit qui a l’air de barrer le chemin de la vérité ultime, le martyre. Dans l’évangile, ce n’est pas l’Esprit qui cherchait à retenir Jésus, mais bien Satan caché en Pierre ! Ici, l’Esprit commence par se déguiser en Satan… C’est sans doute qu’ici le rédacteur pousse à l’extrême son héros par l’hypothèse hardie d’une épreuve de l’Esprit, qu’il surmonte. Comme l’Esprit commençait à barrer la route de l’Asie afin que Paul et Silas aillent en Macédoine lors du second voyage missionnaire de Paul, de même ici l’Esprit commence par éprouver Paul, avant de lui ouvrir la signification sublimée de ce voyage à Jérusalem, l’imitation de Jésus : les mots du prophète Agabus sont assez précis dans ce sens. Et d’ailleurs, Paul va se ranger à l’Evangile du Serviteur, à la prophétie d’Agabus, sans doute inspirée du même Esprit. 

L’Esprit fait cesser l’épreuve, et Paul reconnaît en effet la véritable intention divine, que dissimulait les premiers prophètes au message mondain. C’est sans doute la raison pour laquelle la vérité dévoilée de la prophétie est le fait d’Agabus, venu de Judée, c’est-à-dire de la terre du seul Judaïsme ; n’y aurait-il pas un conflit latent entre Césarée, la romaine, si bien-nommée, et Jérusalem de Judée ? Au passage, l’on voit que l’Esprit reste dans les Actes des Apôtres une force, mais une force impossible à situer avec précision dans le lot des entités métaphysiques : un peu comme dans le couple chair-esprit, il désigne sans doute négativement toute impulsion qui ne monte pas de l’homme. 

Le conflit ne tarde pas à se déclarer entre la théorie et la pratique. Paul part avec la certitude, puis la volonté ferme d’avoir à donner le témoignage du sang, mais, arrivé sur place, il l’esquivera avec la même persévérance qu’il a mise à s’embarquer. En faisant appel à César devant l’officier provincial, on peut suggérer que Paul fait preuve de mégalomanie ou de présomption, fût-ce pour la bonne cause, assuré qu’il se verra en survivant de porter l’Evangile au plus haut sommet de l’Empire. Alors la conformité de Paul avec Jésus, ou même avec Etienne en sera, non seulement plus ou moins voilée, mais elle en sera en quelque sorte reniée.