Luc 16, 19-31

Le mauvais riche

Saint Ambroise de Milan

 

Traité sur l’évangile de Luc, Tome II, SC 52, p. 105s

 

Ce n’est pas sans raison que le Seigneur a montré ici un riche ayant épuisé les délices du monde, installé aux enfers dans le tourment d’une faim perpétuelle, et ce n’est pas en vain qu’on lui voit cinq frères, c’est-à-dire les cinq sens du corps, unie par une sorte de fraternité de nature qui brûlaient de convoitise sans mesure et sans nombre. Par contre, Dieu a logé Lazare dans le sein d’Abraham, comme dans un port tranquille et un asile inviolable, de peur qu’alléchés par les plaisirs présents, nous ne demeurions dans les vices, ou que, vaincus par la lassitude, nous n’esquivions la peine et les labeurs. Soit donc qu’il s’agisse de Lazare, pauvre dans le monde, mais riche devant Dieu, soit de celui qui, selon l’apôtre, est pauvre de parole, mais riche de foi, car toute pauvreté n’est pas sainte, ni toutes richesses répréhensibles, mais comme la débauche déshonore les richesses, la sainteté recommande la pauvreté, soit donc de l’homme apostolique qui garde la vraie foi, qui ne recherche pas le diadème des paroles, le fard des raisonnements, les fastueux vêtements des phrases, il reçoit sa récompense avec usure, en réprimant d’autre part les convoitises de la chair, qui, je l’ai dit, sont attisées par les cinq sens, il reçoit sa récompense avec usure, ayant en paiement des richesses surabondantes et la rente de l’éternité. 

Et nous ne croyons pas déplacée la pensée que ce passage concerne aussi la foi : Lazare la recueille, rejeté de la table du riche ; ses ulcères, au sens littéral, feraient certainement horreur au riche dégouté, et parmi ses festins somptueux et ses convives parfumés, il ne supporterait pas l’odeur des ulcères léchés par les chiens, lui qui se lasse des senteurs de l’air et de la nature même. Encore que l’arrogance et la morgue des riches se traduisent à des signes appropriés, étant à ce point oublieux de leur condition d’hommes que, comme établis au-dessus de la nature, ils trouvent dans les misères des pauvres un assaisonnement à leurs plaisirs, se rient de l’indigent, insultent le miséreux, et dépouillent ceux dont il conviendrait d’avoir pitié.