Siracide 5,1 – 6,4

La vie en Chartreuse

P. Boulanger

Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, tome VI, p. 100s

 

Quand saint Bruno arrive dans le désert de Chartreuse, a-t-il déjà en lui une idée de ce que sera l’organisation de son ermitage ? Bruno n’a jamais écrit de règle monastique, ce n’est pas un législateur ; mais n’oublions pas en fait que cet homme est un intellectuel à l’écoute de son temps, attentif aux mouvements de l’Eglise, aux tentatives érémitiques qui surgissent alors. Il a entendu parler de certains échecs, mais aussi de réussites de fondations religieuses. Il en a tiré un enseignement. Il connaît l’erreur de principe, la vaine gloire, qui se cache derrière un choix de vie d’extrême solitude, trop austère et inhumaine. Mais il est conscient aussi que sa vocation perdra une partie de son identité s’il accepte en plus grande part des éléments communautaires. Ce qui le caractérise profondément, l’esprit de discernement et de mesure, son sens d’adaptation aux réalités, va jouer un rôle déterminant dans le quotidien des solitaires. Bien entendu, les principes qui régissent la vie en chartreuse, au cours des époques, ont pu évoluer, mais le fondement est resté immuable. Les chartreux disent une partie de leurs offices en cellules, seuls ceux des matines et des vêpres les unissent dans l’église. La plus grande part des tâches matérielles est assumée par les convers ; ces hommes, qui ne doivent pas être considérés comme inférieurs à leurs frères en solitude, résident un peu plus bas que les ermitages. L’ensemble de la communauté elle-même s’inscrit au cœur du désert, c’est-à-dire dans cet espace protégé, gardé de toute intrusion que, juridiquement, les chartreux se sont constitué. 

En dehors des temps de méditation, de prière et de lecture, les chartreux s’occupent, à cette époque, de la copie des manuscrits et ceux-ci, encore bien conservés, témoignent d’une grande maîtrise dans cette activité. 

Ce qui marque avant tout cette première organisation, c’est sa volonté de durer. Saint Bruno, il faut le répéter, n’a pas désiré un régime trop extrême pour lui et pour ses compagnons. Il est conscient des possibilités de chacun, et n’exige guère plus que le raisonnable. Une volonté érémitique adoucie par des éléments cénobitiques, voilà le visage en chartreuse, exemple d’équilibre et d’harmonie qui permettra à l’ordre cartusien, en dépit des vicissitudes de l’histoire, de conserver intacte sa vocation.