Sagesse 1, 16 – 2,24

Un gêneur

Père Maurice Gilbert

Le juste traqué, AS 56, p. 31s

 

Les impies recourent à la force pour imposer leur loi aux justes. Quel contraste avec l’action de Dieu, dont l’auteur dira : C’est ta force qui est principe de ta justice et ton empire sur toute chose te fait ménager tout !

Décision prise, principe osé : Traquons le juste puisqu’il nous gêne. Traquer le juste, tendre un piège en secret pour tuer un innocent, pour voler un pauvre, voilà, aux yeux du sage, comme du psalmiste, ce que les impies trament. 

En quoi le juste est-il devenu un gêneur ? Tout d’abord du fait qu’il s’élève contre notre conduite, qu’il nous reproche nos manquements à la loi et nous accuse de trahir notre éducation. Le juste s’en prend donc ouvertement aux apostats pour leur dire leur fait. Des renégats, il ne devait pas en manquer autour de l’auteur du livre de la Sagesse : les partisans juifs de l’hellénisation à outrance, ayant pactisé avec le pouvoir séleucide et avoir renoncé à toutes les expressions de la foi ancestrale, avaient pour eux le pouvoir et la force. Quelques siècles plus tôt, le prophète Jérémie avait subi des traquenards de ses frères à qui il adressait des reproches mérités : il leur annonçait alors un châtiment imminent, et ceux-ci voulaient le tuer, car il gênait.

D’après ce passage (Sagesse 2,12), les impies accusent le juste d’empêcher leur action, de leur reprocher de faillir à la loi, pas uniquement les préceptes de la Torah, mais la religion avec toutes ses expressions, ainsi que leur éducation. Le Siracide (39,8), lui, trace le portrait du scribe et écrit de lui : Il fera paraître l’éducation qu’il a reçue et mettra sa fierté dans la loi de l’alliance du Seigneur. L’apostat, lui renie la moelle de son passé, toute sa formation religieuse qui eût dû faire de lui un croyant humble et fidèle.

Notons au passage le courage du juste. Il ne peut s’empêcher de proclamer sa foi, ni de mettre en accusation le genre de vie qui s’y oppose. Ainsi se comporte le juste : il n’a pas peur d’appeler mal ce qui est mal ; quand le croyant fléchit, son frère doit lui rappeler la parole de Dieu. Le juste connaît Dieu, il le proclame, et cela exaspère l’impie. La seule présence du juste lui devient insupportable. Alors on tue le juste pour s’en défaire, avec l’assurance, croit-on, qu’on prouvera ainsi l’inanité de la foi du malheureux.