Siracide 51, 1-12

« Je vais faire l’éloge des hommes pieux, de nos ancêtres »

Dom Thierry Maertens

L’éloge des Pères, p. 11s

 

Dans une phrase apparemment irénique, Sirac cache déjà un dessein nettement apologétique. Son enthousiasme pour la galerie des hommes célèbres de son peuple se double du souci de faire prendre conscience, par ses contemporains, de l’originalité et de la valeur de ces héros nationaux, à un moment où l’hellénisme se répand et absorbe tout. Une vue d’ensemble des événements de l’époque nous permettra de nous en rendre compte.

Le mouvement hellénistique de l’époque est, sur le plan simplement humain, le plus beau titre de gloire d’Alexandre, son principal animateur. Il crée un humanisme authentique, diffuse une culture de valeur dans le bassin méditerranéen jusque là divisé, et fait disparaître les mesquines rivalités des nations dans un mouvement international grandiose qui rejoint, par maints aspects, la conscience européenne ou mondiale de notre temps.

Mais l’hellénisme politique et culturel se double presque fatalement d’un mouvement religieux : il devient lui-même religion. On devine alors l’épreuve que constitue ce mouvement pour les Juifs : la grandiose réussite d’Alexandre, l’universalisme de sa culture, la naissance d’une conscience mondiale, alors que le particularisme juif semble reposer sur des bases directement religieuses qui oblige le peuple à rester à l’écart de ce mouvement mondial par fidélité au Dieu de l’Alliance. C’est le drame d’un peuple qui ne peut pas être comme les autres parce qu’il est impliqué dans la réalisation du dessein de Dieu. C’est le drame de chaque conscience amenée à choisir entre les valeurs manifestement excellentes de l’hellénisme et la fidélité à un Dieu qui, à première vue, semble à l’aise dans l’obscurantisme et le particularisme. Il y aurait danger à transposer simplement ces données dans le problème que nous vivons nous-mêmes à l’heure actuelle d’un christianisme face à un monde qui prend conscience de lui-même et s’exalte à bon droit sur les valeurs qu’il découvre en lui. Il y aurait un danger plus grand encore à transposer les solutions adoptées par les Juifs sans modifier au moins la perspective qui les a inspirées. Mais il est assez juste de se représenter l’angoisse des âmes juives fidèles devant ce problème, en l’assimilant à l’angoisse de certains militants chrétiens écartelés entre la fidélité à la religion surnaturelle qui inspire leur engagement et la fidélité au monde à l’émancipation duquel ils veulent collaborer.