Luc 21, 5-19

Des signes provisoires

Dom André Louf

Heureuse faiblesse, Homélies pour les dimanches de l’année C, p. 243s

 

          Le monde tel que nous le connaissons est appelé à disparaître, nous rappelle Jésus. Mais l’ébranlement des cieux, l’effondrement des royaumes emportés par les divisions et la guerre cèdent moins à des forces de chaos qu’ils ne témoignent de la proximité de celui qui vient. Plus Jésus se fait proche de nous, et plus s’accroissent ces véritables douleurs de l’enfantement, au terme desquelles sera emportée cette terre que nous aimons tant. Et cependant, nous le savons tout autant : rien n’est plus contraire à Jésus que la guerre, rien n’est plus contraire à son Royaume que la paix. Nous sommes en plein paradoxe évangélique.

            D’un côté, Jésus demande d’aimer tout le monde, de ne haïr personne, de ne pas rendre le mal pour le mal. Il proclame bienheureux les faiseurs de paix. Il va même jusqu’à nous promettre sa paix, il est vrai une paix qui n’est pas celle de ce monde, et que le monde ne peut pas nous donner.

            Sur cette parole de Jésus, les croyants s’engagent en faveur de la paix, les responsables d’Eglise interviennent pour la préserver ou la promouvoir. Et cependant, l’Evangile nous rappelle chaque année que, d’une façon ou d’une autre, nous n’échapperons pas à la destruction finale. Jésus a annoncé aussi le glaive au lieu de la paix, la guerre et un grand bouleversement final, conditions nécessaires, selon lui, pour que lui-même puisse revenir dans sa gloire. Que valent alors nos paix toujours fragiles et nos bonheurs toujours menacés d’ici-bas ? Et pour combien de temps ?

            Nous retrouvons le même paradoxe en d’autres domaines. Jésus guérit les malades, ressuscite les morts. A notre tour, nous lui demandons d’être préservés de la maladie, de guérir si nous sommes malades. Au bout du compte, personne n’échappera à la mort. Toute guérison, toute bonne santé ne sont que provisoires. Elles finiront par être vaincues par la mort irrémédiablement. Tel est le paradoxe de la situation du chrétien en ce monde provisoire où tout est déjà donné réellement, mais où cependant tout n’est donné que comme dans un miroir. Il en va de même pour tout ce que nous construisons ici-bas pour Jésus et en vue de son Royaume. Pour tous nos engagements qui passent nécessairement à travers les signes ambigus et provisoires de notre monde présent, un monde dont la figure est appelée à passer. Ces engagements sont chaque fois nécessaires, mais ils ne dureront pas. Ils sont même voués à un échec final, auquel ne survivra que la seule chose dont la Parole de Dieu nous a dit qu’elle durera à jamais : l’amour qu’ils auront rendu possible.