Romains 5, 12-21

La Spiritualité du monachisme primitif

Père Louis Bouyer

La vie de saint Antoine, Conclusions, p. 178s

Le moine, tel Antoine, n’est qu’un homme qui a pris une conscience
particulièrement vive de son christianisme. Cette conscience se concentre sur
l’imminence du jugement, sur la nécessité de tout abandonner pour être tout
à l’Autre. Cet Autre s’identifie avec le Christ. Vivre pour le monde qui vient et
vivre dans le Christ, pour le moine, c’est tout un.
Le moine, empruntons cette expression à Kierkegaard, c’est le chevalier
de la foi. Attention à soi-même, travail, prière, mais prière toute nourrie de la
Parole divine qui soutient d’un bout à l’autre cette vie au point de départ de
laquelle il n’y a rien d’autre que son appel, voilà le programme initial du
moine.
Comme le martyr luttait publiquement, le moine va lutter dans la
solitude du désert, dernier refuge qui reste au diable progressivement chassé
de la société par la conquête chrétienne. Et ses victoires solitaires révèlent
aussitôt leur fécondité collective en faisant du moine éprouvé un père
spirituel. Mais alors va surgir une dialectique de plus en plus inexorable entre
le monde qui rappelle celui qui l’a fui, et le besoin de plus en plus pressant
chez lui de cette solitude où la seule chose nécessaire peut s’imposer à lui
comme il convient. La charité le presse, mais cette charité se dégage d’un
dépouillement total pour la lutte corps à corps avec l’adversaire le plus subtil,
le plus apte à profiter de la moindre attache pour briser l’élan.
On voit comment finalement les thèmes de cette spiritualité nous
paraissent enchaînés. Le thème fondamental, essentiellement chrétien,
essentiellement évangélique, c’est la Parole divine qui, dans le Christ,
s’identifiant avec lui, appelle au Royaume. Mais, comme en écho renversé, ce
thème, aussitôt développé, suscite celui de l’autre royaume, du royaume
démoniaque. D’où la lutte liée aux autres thèmes du désert et de la mort, lutte
où le moine doit vaincre par la foi, l’ascèse n’étant qu’une progressive prise de
possession de toute son existence, de tout son être, par cette foi en conflit.
Spiritualité, on le voit, toute nourrie de l’Ecriture, toute vécue à l’intérieur de
celle-ci. Le moine, au point de départ, n’est qu’un chrétien qui a écouté la
Parole divine avec une entière et immédiate fidélité.