Hébreux 6, 9-20

« Que chacun de vous montre le même zèle jusqu’à la fin »

Dom Adalbert de Vogüé

La Règle de saint Benoît, Tome VII Commentaire doctrinal, p. 427s

         

          Par une série de touches complémentaires, parsemées à travers les chapitres 64-71, Benoît mène son lecteur à ce sommet qu’est le petit traité Du bon zèle. Avec ses huit maximes conduisant à la vie éternelle, il est comme une seconde liste de bonnes œuvres, neuf fois plus brève que la première. L’unité du thème est évidente. D’un bout à l’autre, le bon zèle concerne les relations des frères entre eux et leur abbé, dans un fervent amour de Dieu et du Christ. Ce second art spirituel est purement monastique, voire conventuel. Ses maximes ne sont plus au singulier, mais au pluriel, et c’est tous ensemble que les moines espèrent, en récompense, être introduits par le Christ dans l’éternité.

            Mais l’unité de cet admirable morceau ne résulte pas seulement de ce qu’il concerne les relations mutuelles. Celles-ci revêtent en outre un caractère commun, celui de la charité. Amor et caritas reviennent chacun deux fois, diligere s’y ajoute encore, de sorte que le vocabulaire de l’amour l’emporte ici nettement, à l’inverse du chapitre 63, sur celui de l’honneur et de la crainte. Au reste, plusieurs maximes, qui ne parlent pas expressément de charité, décrivent des attitudes dont la relation avec cette vertu ne fait pas de doute : patience, obéissance, recherche du bien d’autrui, préférence pour le Christ, qu’est-ce que cela, sinon aimer ?

            Ainsi ce petit chapitre reprend le chapitre 63 De ordine congregationis et le corrige. Commençant par où celui-ci finissait, il pousse plus avant dans le sens de la dilection. Révérence et amour se mêlent encore, mais ce dernier prend décidément le pas. Un tel triomphe de la charité, en conclusion de toute la Règle, fait penser à la finale du grand traité de l’humilité. Comme l’échelle d’humilité s’élevait de la crainte à l’amour, ainsi les derniers chapitres de la Règle, partant de l’ordre de la communauté et des règles de courtoisie qu’il comporte, s’élèvent à une vue d’ensemble des relations fraternelles où il ne s’agit plus guère que d’aimer. De part et d’autre, la charité se découvre au terme d’une ascension, comme le résultat d’une pédagogie et le couronnement d’un ordre.

            La règlementation des rapports mutuels a commencé par l’établissement d’un ordre. Ensuite des relations ont été instituées entre les frères selon cet ordre. Enfin ces relations s’épanouissent, au moins idéalement, dans une charité sans limite qui ne connaît plus d’ordre. L’organisation initiale subsiste, mais l’atmosphère qui l’enveloppe est totalement spiritualisée.