Matthieu  18, 21-35

La grâce du pardon partagée entre frères

Père Jean Radermakers

Au fil de l’évangile selon saint Matthieu, Lecture continue, p.244s

 

                Devant Dieu, nous sommes tous débiteurs insolvables. Jamais nous ne pourrons lui rendre ce qui lui est dû et ce que notre péché lui soustrait. La parabole du pardon non-partagé illustre bien à quel point, sans même nous en rendre compte, nous sommes les uns pour les autres d’impitoyables débiteurs. Emu aux entrailles, le Seigneur de ce serviteur-là lui pardonna : cette notation est d’une extrême importance pour l’intelligence de la parabole. Nous y découvrons la source dont jaillît le pardon royal et d’où doit se répandre le pardon entre frères : Ne faillait-il pas, toi aussi, prendre en pitié ton co-serviteur, comme moi aussi j’ai pris pitié de toi ? Le jugement royal transcende toutes nos catégories juridiques. Il se situe au plan de l’amour et du pardon ; il s’exerce par la pitié et la miséricorde. Ainsi la priorité du pardon divin est-elle totale.

                   Mais voici qu’à une miséricorde sans limites fait suite la brutalité des relations humaines pour des dettes ridicules. Aussi comprenons-nous pourquoi les co-serviteurs sont attristés devant l’attitude impitoyable de leur frère, tristesse  qui fait songer à celle des disciples auxquels Jésus a annoncé sa passion, ou à la présence d’un traître parmi eux. Cette tristesse naît d’une situation bien concrète : la vie réelle avec son opposition entre ce qui doit se faire (Ne fallait-il pas que, toi aussi, tu prennes pitié…), et ce qui se fait (Les scandales inévitables !). De même que le fauteur de scandale se scandalise lui-même, ainsi le débiteur impitoyable pour son frère l’est aussi pour lui-même, car il retient captive la miséricorde de Dieu ; en refusant de la communiquer aux autres, il l’empêche du même coup de prendre corps en lui.

                   Le dernier verset, qui reprend les passages du discours sur la montagne concernant le pardon et le jugement mutuel, montre que la vie de l’homme pardonné demeure soumise au jugement définitif eschatologique par lequel Dieu rendra à chacun selon son agir. Il en ressort que chacun est jugé, dès à présent, sur sa façon d’accueillir et de partager fraternellement le pardon reçu du Père. Dans la mesure où chacun remet à son frère du fond du cœur, comme Dieu lui remet dans cette mesure, le pardon toujours premier du Père s’accomplit dans la communauté et dans chacun de ceux qui le partagent à leurs frères. Ainsi se découvre la profondeur de la demande du Notre Père : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, en même temps que se perçoit la vérité de la cinquième béatitude : Heureux ceux qui ont pitié, parce que, eux, ils seront pris en pitié.