Actes 5,12-32 ou Ephésiens 4, 1-16

Une Lectio Divina

Père David-Marc d’Hamonville

Marc, l’histoire d’un choc, p. 10s

 

          Marc est l’homme qui a inventé l’évangile. Cet évangile, par son cœur, sa bouche et sa plume, a pris cette forme que nous lui connaissons : un récit, à une parole à nous adressée, qui nous raconte un événement unique, extraordinaire : Jésus de Nazareth.

            Aujourd’hui l’évangile est un récit trop connu, trop familier, il nous est servi tiède, confortable, sans rien qui dérange beaucoup, monnayé en petites coupures le plus souvent, les péricopes liturgiques, de si courtes séquences que l’on aurait mauvaise grâce de s’impatienter.

            Mais la vérité de l’évangile est analogue à la suffocation baptismale : état de celui dont la tête vient d’être maintenue sous l’eau, juste un peu trop de temps, et qui reprend souffle après avoir paniqué, en suffoquant, en s’étranglant, en riant et en pleurant d’un même râle et hoquet, comme un bébé…

            Pour parler, il faut arrêter de crier. Cela prend du temps. Marc aura longtemps crié. Parce que le choc avait été incroyablement fort. En ce temps-là, i n’y avait pas de service d’écoute post-traumatique, les cliniques n’existaient pas…

            Il est impossible de faire revivre ce choc, encore plus impossible de le transmettre. Il ne restait que la stupeur. Alors Marc a écrit la stupeur. Il a accepté d’être le passeur stupide de la vérité la plus lumineuse qui soit. Il a proposé à ses lecteurs d’emprunter le chemin de la stupeur : ils verront bien par eux-mêmes.

            La Lectio Divina a elle aussi, quelque chose de stupide. Il en va d’une belle lecture comme du voyageur qui est parti sans préparer le moins du monde son voyage : il n’avait pas de billet, aucun recommandation, il est monté dans cet avion, puis il a pris ce pont, là, à la fin de l’avenue, il ne connaît pas cette ville, non, il ne se rappelle pas la destination de ce voyage, il avait seulement pris la décision de partir. Depuis le début, tout l’étonne. Il ne sait pas du tout la durée de l’étape en cours.

            Ce qui différencie la Lectio de l’étude, c’est la liberté qui est instituée dès le départ : il n’y a pas de plan de voyage, pas de programme, aucune digression n’est prohibée, aucun détour n’est considéré comme une errance, aucun retard n’est sanctionné ; cela prendra du temps, tout le temps qu’il faut. Toute la personne est convoquée : pas seulement la tête, mais le corps, la mémoire ; pour approcher de la chair du texte, il faut se dévêtir soi-même par moments : le texte est bien, comme le dit l’étymologie, un textile, un tissu, à ressentir à même la peau. Lire est une expression transformante.