Actes 13,44 – 14,7

Une rupture symbolique

Daniel Marguerat

La première histoire du christianisme : Les Actes des Apôtres, p. 219s

 

          Les commentateurs ont rapproché le commencement du ministère de Jésus (Luc 4,16-30) du commencement de la mission paulinienne (Actes 13,13-52). Même lieu : une synagogue. Même intérêt des auditeurs dans un premier temps : ils admirent. Même rejet dans un second temps : Jésus manque d’être tué. En quoi ce texte fonctionne-t-il comme un modèle ? Premièrement, parce que l’opposition Israël/nation y est travaillée par l’exemple des grâces offertes aux païens au travers d’Elie et d’Elisée (Luc 4,24-27) ; comme il aime à le faire, Luc compose ici un tableau où il anticipe une vérité encore à venir dans l’ordre du récit, qui est le rejet de la Parole par Israël et son accueil par les nations. Secondement, l’épisode fonctionne comme modèle, parce que le destin de Jésus y est interprété à l’aide du motif du prophète rejeté par les siens. Luc met en place ici une typologie du prophète qui fonctionnera comme une catégorie centrale de sa christologie. Il appartient au destin du prophète, comme de Jésus, comme de Paul, d’être rejeté par les siens. Mais il n’appartient pas au prophète, ni à Jésus, ni à Paul, de rejeter ce peuple.

          Ce modèle du prophète rejeté a ses règles : il appartient au prophète d’avertir le peuple de Dieu, de le mettre en garde, de le menacer. Non que le peuple serait maudit, mais parce qu’il est en péril, et que le prophète lutte pour le faire vivre. Le prophète ne déclare pas que Dieu a abandonné son peuple, Dieu au contraire ne l’a pas abandonné, et c’est bien pourquoi il lutte pour le faire changer de comportement. L’effet rhétorique de la parole du jugement d’Isaïe 6,9-10 à la fin des Actes (28,26-27) s’inscrit dans la même perspective.

          Ainsi, à la crise déclenchée par sa mission aux non-juifs, Paul réagit d’une part en revendiquant, pour son action, l’appui des Ecritures, d’autre part en refusant de s’accommoder d’une rupture dont il n’assume pas la responsabilité. La rupture voulue par la Synagogue conduit Luc à renforcer les indicateurs de continuité théologique : l’octroi du salut aux païens n’opère pas contre Israël, il ne remplace pas les promesses faites à Israël. L’universalité du salut naît de l’histoire même d’Israël où elle trouve sa source et sa légitimité (Actes 13,32-39), mais cette ouverture est paradoxalement mise en œuvre dans l’histoire par le refus des Juifs de la mission chrétienne.