Matthieu 11, 25-30

L’action de grâces de Jésus : contexte doctrinal

Dom Célestin Charlier

L’action de grâces de Jésus, BVC 17, mars-mai 1957, p. 94

 

                   L’inspiration de l’action de grâces de Jésus est nettement prophétique et sapientielle. Il y a d’abord les évidentes références au thème des pauvres cher à Jérémie, les allusions au Serviteur de Yahvé. Car ces pauvres sont bien les petits désignés par la doxologie comme les bénéficiaires de la révélation de Jésus. Le mot grec employé désigne un petit enfant, au sens étymologique du terme : celui qui ne sait pas encore parler. Ces petits s’opposent aux sages et aux avisés : incapables de se défendre ou de se conduire par eux-mêmes, ils sont évidement à rapprocher de ceux que l’invitation finale désigne comme les peinants et les accablés. Le premier de ces deux participes exprime étymologiquement l’idée de recevoir des coups, puis celle du labeur pénible ; le second relève d’une racine qui est encore employée à la fin du verset 30 et qui désigne une charge, un fardeau. Ce sont là des images classiques des prophètes pour désigner le sort des vrais fidèles de Dieu. Ceux-ci se recrutent avant tout parmi les déshérités de la terre : non pas que la pauvreté et la souffrance comme telles donnent droit au Royaume, mais elles favorisent une ouverture humble et confiante, une docilité, un état de totale disponibilité qui les offre à l’emprise de l’invisible Amour. Jésus lui-même se présente d’ailleurs comme le modèle et le type de ce pauvre lorsqu’il se dit l’humble par excellence.

                                     Quant au courant sapientiel, il est présent dans la situation même de Jésus vis-à-vis de ses disciples : tout le contexte est celui d’un enseignement divin, d’une révélation qui réclame la soumission totale, d’une sagesse radicalement neuve. Les petits ne sont pas seulement les faibles : le parallèle antithétique qui les situe face aux sages et aux intelligents montre qu’il s’agit d’une attitude de docilité face à une doctrine de vie. Ces petits enfants qui ne savent pas parler n’en écoutent que mieux. De même Jésus est dit humble en un sens plus riche que dans nos langues modernes. Jésus est humble de cœur ; l’on sait que dans l’Ecriture le cœur ne désigne pas tant le centre des émotions affectives que la source personnelle et vibrante d’une connaissance savoureuse ; le contexte reste donc sapientiel. Jésus ne se dit pas seulement humble, mais doux. Cette traduction courante ne rend que très imparfaitement le sens du mot grec, lequel ne désigne pas tant une qualité passive qu’une attitude d’accueil vis-vis d’autrui, une bienveillance simple et amène, une bonté compatissante. Nous demeurons ainsi dans le cadre des relations qui unissent un maître à ses disciples. Jésus se présente comme le contre-pied des pharisiens savants, dédaigneux du menu peuple ignorant : il est lui d’un abord facile, sans prétention ; les humbles se sentent à l’aise auprès de lui, aussi trouvent-ils dans son enseignement un immédiat allégement à leur détresse.