Luc 24, 13-35

La fraction du Pain

Père Jean-Claude Dhotel

Souvenir de Cléophas, Christus, n° 24, 1977, p. 180s

 

           Notre  mémoire de Jésus Christ ne peut plus être seulement l’évocation du passé, car le passé est mort et le Christ est vivant. Quand nous lisons ou entendons que, dans le Livre, il est écrit : Le Royaume de Dieu est tout proche de vous, ce présent là ne peut pas être conjugué par nous au passé comme si, à un moment de l’histoire, le Royaume avait été à portée de la main et que, la chance de le saisir ayant été manquée, il s’était progressivement éloigné. Ce qui est écrit au présent dans l’Evangile est présence de Jésus Christ dans le présent de notre existence. Aujourd’hui n’est pas, ne peut pas être hier, quand nous entendons : Aujourd’hui cette parole est accomplie parmi vous.

          N’est-ce pas ce qui s’est passé pour toi, Cléophas, et pour ton compagnon, à la fin de la journée, quand, à table, Jésus prit le pain en prononçant la bénédiction, l’a rompu et vous l’a donné ? Vous l’avez reconnu à la fraction du pain. Un geste familier qui, soudain, aurait provoqué le déclic de votre mémoire et fait jaillir à votre conscience le nom que vous aviez, comme on dit, sur le bout de la langue ? Si vous l’avez reconnu, à la fraction du pain, c’est parce que à ce moment-là et par ce signe, il s’est fait reconnaître.

          Pas n’importe quel signe, il est vrai : celui que la communauté chrétienne a reçu mission de perpétuer en mémoire de Jésus Christ. Faites ceci en mémoire de moi, et Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d’entre les morts, c’est toute la mémoire croyante, ou la foi qui se souvient. L’acte de faire mémoire ne sera donc pas une évocation qui, par rite et parole mystériques, produirait le retour du disparu ; il n’est que reconnaissance, par le signe et la parole institués, de celui qui se fait reconnaître : le Vivant, qui donne Esprit et Vie à toute la mémoire du monde devenue, en lui et par lui, la source qui jaillit en vie éternelle au travers de nos désirs et nos projets humains.

          Cléophas, tu as fait un long chemin sur la route d’Emmaüs. Avec ton compagnon, tous les deux, vous revenez de si loin ; retournez maintenant à Jérusalem, point de départ vers de nouveaux destins où il vous rejoindra toujours.