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memoire des saints Tite et Timothee

Mémoire des saints Tite et Timothee

Sur Genèse 21, 1-21
Les lettres de Paul à Timothée et Tite
Pierre Dornier
La Bible de Jérusalem, Introduction aux lettres de Paul, p. 1488s

Les épitres à Timothée et Tite sont étroitement apparentées entre elles par leur fond, leur forme, et la situation historique qu’elles supposent. Deux d’entre semblent écrites de Macédoine, l’une (la première) à Timothée qui se trouve à Ephèse où Paul espère le rejoindre, l’autre à Tite qu’il a laissé en Crète ; l’Apôtre compte passer l’hiver à Nicopolis, en Epire, où Tite devra le rejoindre. Quand il écrit la seconde à Timothée, Paul est prisonnier à Rome, après être passé à Troas et à Millet. Sa situation est grave, Paul se sent près de sa fin, se trouve seul, et presse Timothée de venir au plus vite.
La première lettre à Timothée, et la lettre à Tite peuvent avoir été écrite vers l’an 65 au cours d’un voyage à travers la Crète, l’Asie Mineure, la Macédoine et la Grèce. La situation que reflète la seconde à Timothée est celle d’une nouvelle captivité, dont l’issue cette fois devait être fatale : cette lettre, qui est comme le testament de Paul, a dû précéder de peu son martyre en 67.
Adressées à deux de ses plus fidèles collaborateurs, ces lettres donnent des directives pour l’organisation et la conduite des communautés chrétiennes que Paul leur a confiées. Elles reflètent un stade d’évolution des communautés parfaitement vraisemblable vers la fin de la vie de Paul. Le titre d’épiscope apparaît encore pratiquement synonyme de celui de presbytre, selon la formule primitive des communautés dirigées par les collèges d’Anciens : nulle trace encore de l’évêque monarchique tel qu’il apparaîtra chez saint Ignace d’Antioche. Pourtant cette évolution se prépare : bien que chargés de plusieurs communautés sans être attachés à aucun en particulier, les délégués de Paul que sont Timothée et Tite représentent cette autorité apostolique qui est en voie de se transmettre pour suppléer à la disparition prochaine des apôtres, et qui bientôt se fixera en chaque communauté dans un chef du collège presbytéral, qui sera l’évêque. Les épiscopes-presbytres ne sont pas que des administrateurs du temporel, mais encore et surtout ont la charge de l’enseignement et du gouvernement : ils sont bien les ancêtres de nos « évêques » et de nos « prêtres ».

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fete de la conversion de saint Paul, 3° lecture

Sur Marc 16, 15-18
Voilà les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru
Saint Grégoire le Grand
Homélies sur l’Evangile, Homélie 29,4, SC 522, p. 205s

Considérons attentivement ces prodiges, ces miracles. En vérité la Sainte Eglise opère quotidiennement dans les âmes ce qu’elle opérait alors par les apôtres dans les corps. Car, lorsque ses prêtres, par la grâce des exorcismes, imposent les mains aux fidèles et luttent avec les esprits malins qui habitent dans leurs âmes, ne chassent-ils pas les démons ? Et tous les fidèles qui, après avoir renoncé à leur passé, chantent les saints mystères et proclament de toutes leurs forces les louanges et la puissance de leur Créateur, que font-ils sinon parler de nouvelles langues ? Lorsque par leurs exhortations salutaires, ils enlèvent du cœur d’autrui la malice, ils détruisent les serpents. Lorsqu’ils entendent des conseils empoisonnés sans se laisser le moins du monde entraîner au mal, ils boivent un breuvage mortel, mais il ne leur fera aucun mal. Toutes les fois, enfin que, voyant leur prochain faiblir dans la vertu, ils lui viennent en aide de toutes leurs forces, et que, par l’exemple de leurs œuvres, ils raffermissent ceux qui chancellent dans leur conduite, font-ils autre chose que rendre la santé aux malades en leur imposant les mains ?
Or ces miracles sont d’autant plus grands qu’ils sont d’ordre spirituel, d’autant plus grands que ce ne sont plus des corps, mais des âmes qu’ils ressuscitent ; et ces prodiges, Dieu aidant, vous les opérez si vous le voulez. Les miracles extérieurs ne peuvent obtenir la vie à ceux qui les opèrent. Car ces miracles corporels révèlent parfois la sainteté, ils ne la créent pas ; au lieu que les miracles spirituels, qui agissent seulement dans l’âme, ne révèlent pas la vertu de la vie, mais la produisent. Ceux-là, les méchants eux-mêmes les peuvent opérer ; accomplir ceux-ci, seuls les bons en ont le pouvoir.
Aussi, frères, ne recherchez pas les prodiges qui peuvent être communs avec les réprouvés, mais désirez ces miracles de charité et de piété que nous disions à l’instant : ils sont d’autant plus sûrs qu’ils sont cachés, et ils trouveront auprès de Dieu une récompense d’autant plus grande qu’ils procurent moins de gloire auprès des hommes.

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fete de la conversion de saint Paul, 2° lecture

Sur Galates 1, 11-24
L’aveuglement de Paul, cause de sa conversion
Saint Augustin
Lettre 185, à Boniface, OC 5, p. 562s

Qui peut nous aimer plus que Jésus Christ, lui qui a donné sa vie pour ses brebis ? Cependant quoiqu’il eût par sa parole seule appelé à lui Pierre et les autres disciples, quand il voulut gagner Paul, auparavant Saul, pour faire un grand propagateur de son Eglise de celui qui en était auparavant un des plus terribles persécuteurs, il n’eut pas seulement recours à la voix, mais il le renversa avec violence ; et pour forcer cet ennemi farouche, plongé dans la cruauté et les ténèbres de l’infidélité, à désirer la lumière du cœur, il le frappa de cécité. Si ce n’eut pas été un châtiment réel, Saul n’aurait pas été guéri plus tard, et si ses yeux, qui tout ouverts ne voyaient plus rien, avaient été sains, il n’aurait pas fallu, comme le rapporte l’Ecriture, qu’Ananie, par l’imposition de ses mains, fît tomber des yeux de cet aveugle les écailles qui les couvraient. Que deviennent donc les vains propos de ceux qui s’écrient sans cesse qu’il est libre à chacun de croire ou de ne pas croire ? A qui le Christ, disent-ils, a-t-il fait violence ? Qui a-t-il forcé à croire ? Ils ont pour les confondre l’exemple de l’apôtre saint Paul. Qu’ils reconnaissent ici le Christ qui d’abord force, puis ensuite enseigne, qui commence par frapper pour consoler ensuite. N’est-ce pas une chose merveilleuse que celui qui a été forcé par un châtiment corporel, converti à l’Evangile, ait fait pour l’Evangile plus que tous ceux qui avaient été appelés par la parole seule du Sauveur, et que sa charité ait été d’autant plus parfaite et plus capable de chasser la crainte, que la crainte qui l’avait poussé à la charité, avait été plus grande et plus forte ?
C’est dans ce sens qu’on peut entendre le passage où saint Paul écrit, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens (10,6) : Nous sommes résolus à châtier toute désobéissance, après que vous aurez satisfait à ce que l’obéissance demande de vous. Le Seigneur lui-même ordonne d’abord d’amener les convives à son grand festin, et ensuite de les y forcer : Allez le long des chemins et des haies, forcez à entrer tous ceux que vous trouverez. Dans ceux qui sont venus de plein gré, c’est l’exemple de l’obéissance accomplie ; dans ceux qui sont amenés de force, c’est la désobéissance qui est réprimée.

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3° dimanche du temps ordinaire, 3° lecture

3° dimanche du temps ordinaire, 3° lecture

Sur Luc 1,1-4 . 4,14-21
Tous avaient les yeux fixés sur lui

Origène
Homélies sur saint Luc, homélie XXXII, SC 87, p. 387s

Jésus entra dans la synagogue de Nazareth ; on lui présenta le livre du prophète Isaïe où il est écrit : l’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a consacré par l’onction. Ce n’est pas par hasard que Jésus ouvrit le livre justement au chapitre qui prophétisait à son sujet : ce fut l’œuvre de la Providence de Dieu. Car s’il est écrit qu’un moineau ne tombe pas dans le filet sans la volonté du Père, et que les cheveux de la tête des Apôtres sont tous comptés (Luc 12,6-7), il n’est pas douteux que le choix du livre d’Isaïe à l’endroit précis de cette lecture concernant le mystère du Christ doit être considéré comme l’effet non de la fantaisie et du hasard, mais bien du dessein providentiel de Dieu. C’est le Christ lui-même qui nous le rappelle.
Considérons maintenant ce que disait le prophète et l’application que Jésus s’en fait à lui-même dans la synagogue. Il m’a envoyé, dit-il, porter la bonne nouvelle aux pauvres. Les pauvres signifient les païens ; ceux-ci en effet étaient pauvres et ne possédaient rien, ni Dieu, ni Loi, ni Prophètes. Pour quelle raison Dieu l’envoya-t-il comme messager aux pauvres ? Pour annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, car c’est par sa parole et par l’enseignement de sa doctrine que la vue est rendue aux aveugles.
Jésus replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. Maintenant encore, si vous le voulez, en cette présente assemblée, vos yeux peuvent fixer le Sauveur. Car lorsque tu consacres l’attention la plus profonde de ton cœur à contempler la Sagesse, la Vérité et le Fils unique de Dieu, tes yeux voient Jésus. Heureuse assemblée à laquelle l’Ecriture rend ce témoignage : Ils avaient tous les yeux fixés sur lui ! Comme je voudrais que notre assemblée mérite semblable témoignage et que les yeux de tous, catéchumènes et fidèles, femmes, hommes et enfants, voient Jésus avec les yeux non du corps mais de l’esprit ! Car lorsque vous l’aurez contemplé, votre visage et votre regard seront illuminés de sa lumière et vous pourrez dire : Ô Seigneur, la lumière de ton visage a laissé sur nous son empreinte (Psaume 4,7).

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3° dimanche du temps ordinaire, 2° lecture

3° dimanche du temps ordinaire, 2° lecture

Sur Genèse 18, 1-33
L’hospitalité d’Abraham
Saint Augustin
Sermons, Première série, Sur le saint patriarche Abraham, OC 19, p. 481s

A Mambré, Abraham pénètre sous l’ombre d’un chêne, s’y bâtit un abri. Tandis qu’assis sous ce chêne, Abraham interrogeait le ciel du regard, voici que tout à coup la majesté divine en descend sous la forme de trois jeunes gens. Le patriarche accourt, il s’empresse : Monseigneur, je t’en prie, si j’ai trouvé grâce devant toi, ne passe pas au-delà de ton serviteur. Vous le voyez, Abraham va au-devant de trois personnages, et il n’en adore qu’un. Unité triple, et Trinité une. Qu’on lave vos pieds, rafraîchissez-vous sous cet arbre, j’apporterai du pain, vous mangerez, et ensuite vous continuerez votre route. La justice parfaite garde toujours dans le bien la même ligne de conduite : Abraham offre l’hospitalité à des voyageurs, lui qui n’a plus de maison ; il montre à des passants l’abri que la nécessité lui avait fait choisir, lui qui s’était privé de tout abri. Bien que la demeure fût étroite, la foi donnait de l’étendue à l’étroitesse de cet asile, et méritait que Dieu l’acceptât.
Pendant ce temps, on délaie de la farine, on fait cuire des pains sous la cendre, on tue un chevreau. La divinité n’avait certes pas besoins de ces aliments, mais la justice fait ces dépenses pour satisfaire à ses désirs. Voilà donc le Très-Haut assis à la table de l’homme ; on mange, on dîne, Dieu et l’homme s’entretiennent avec familiarité.
Mais l’hospitalité accordée à Dieu ne peut rester sans récompense : Abraham reçoit aussitôt le prix de ses bons offices. Un fils est accordé au vieillard, une postérité à celui qui n’espérait plus en avoir ; le patriarche reçoit dans la vieillesse ce qu’il n’avait pu jamais obtenir dans sa jeunesse : Je reviendrai, dit Dieu, dans un an, et Sara aura alors un fils. Comme ils étaient vieux, et que le sein de Sara n’avait plus la force de concevoir, ils ne voulaient pas espérer ce bonheur, mais leur confiance leur fit ajouter foi à la promesse de Dieu qui disait : Je t’ai établi père de beaucoup de nations. Voyez cet homme : la loi n’a point encore été, ni écrite, ni promulguée, et cependant quelle religion il montre ! Juste dans sa conduite, il est encore plus recommandable par sa foi. Voici un vieillard marié qui n’a pas encore un seul fils, et cependant Dieu lui promet de le rendre père d’une multitude innombrable d’enfants. Les forces d’Abraham sont épuisées, et Dieu lui dit : Lève les yeux au ciel et compte les étoiles : aussi nombreuse sera ta descendance. Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice.

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2° samedi du temps ordinaire

2° samedi du temps ordinaire

Sur Genèse 17, 1-17
La solution divine : une promesse

Walter Vogels
Abraham, notre père, Lire la Bible, Cerf, 2010, p. 26s

Abraham a atteint quatre-vingt-dix-neuf ans. Le texte que nous venons d’entendre décrit une nouvelle rencontre entre Dieu et Abraham. Dieu se révèle à Abraham comme El Shaddaï, ce qui peut signifier Dieu tout-puissant. Le Dieu d’Abraham est une Dieu capable de rendre l’impossible possible. Puis il donne un ordre à Abraham : Marche en ma présence et sois parfait. Doit-on comprendre qu’Abraham jusqu’ici n’a pas toujours marché dans la présence de Dieu ? En effet, il a montré bien des faiblesses humaines. Comme souvent, après un ordre vient une promesse, ce qui suggère que l’accomplissement de la promesse est lié au comportement d’Abraham : J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement. Dieu revient une autre fois sur cette promesse d’une descendance nombreuse, mais ici, il scelle sa promesse par une alliance ; Dieu ajoute ce qui doit être le signe de cette alliance : Que tous vos mâles soient circoncis quand ils auront huit jours. La circoncision est pratiquée par beaucoup de peuples, pour des raisons d’hygiène, mais aussi comme rite d’initiation vers treize ans ; pratiquée sur un enfant de huit jours, ce rite change de signification, il devient signe d’appartenance au peuple de l’alliance.
C’est alors que Dieu change le nom d’Abraham : On ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te fais père d’une multitude de nations, je te rendrai extrêmement fécond, de toi je ferai des nations, et des rois sortiront de toi. La descendance d’Abraham n’est pas limitée à un seul peuple. Le nom de Sara est aussi changé : Ta femme Saraï, tu ne l’appelleras plus Saraï, mais son nom sera Sara, et Dieu ajoute la raison : Je la bénirai et même je te donnerai d’elle un fils ; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples viendront d’elle. Elle sera donc vraiment une princesse ; comme pour Abraham, on remarque la dimension universaliste de sa destinée : nations, peuples, rois. Dieu vient d’annoncer l’incroyable, Sara la stérile qui ne lui avait pas donné d’enfant, lui donnera un fils !
La réaction d’Abraham est compréhensible, il aura cent ans, et Sara quatre-vingt-dix : Il se met à rire ; est-ce un cri de surprise, de joie, de doute, ou un mélange de tout cela ?

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2° vendredi du temps ordinaire

2° vendredi du temps ordinaire

Sur Genèse 16, 1-16
La bénédiction d’Ismaël

Jean Daniélou
Le mystère de l’Avent, chapitre 1, p. 55s

La voie qui allait au Christ n’est pas passée par Ismaël. Ismaël est l’ancêtre lointain des musulmans qui ont, pour lui, une dévotion particulière. Son histoire est émouvante : il est celui que Dieu écarte pour élire l’autre en qui se réalise l’élection divine. Pourtant Ismaël n’est pas sans une certaine protection de Dieu qui dit à Abraham : Du fils de la servante, je ferai aussi un grand peuple parce qu’il est né de toi.
Saint Paul, dans sa lettre aux Galates, a repris ce passage ; il explique qu’Agar est la figure du peuple juif, il déplace quelque peu les perspectives, ce peuple qui, lui aussi a été fils et qui, lui aussi, est écarté à un moment donné pour faire place à ceux qui sont les fils d’Abraham selon la promesse, c’est-à-dire les chrétiens. Nous voyons qu’il y a là un mystère, et un mystère qui s’accomplit deux fois : le mystère de l’élection d’Isaac, père de la race d’Israël, et l’éloignement d’Ismaël, père de la race des musulmans, puis, avec la venue du Christ, le mystère de l’éloignement du peuple juif écarté par Dieu tandis qu’est élu le peuple chrétien tiré des nations. Mais nous savons aussi que cet éloignement du peuple juif est un éloignement provisoire ; il est écarté un temps pour que la plénitude des Gentils entre, mais lorsque la plénitude des Gentils sera entrée, lui aussi entrera à son tour, et son retour sera une plus grande joie encore que l’entrée des Gentils.
Bien des questions surgissent : pourquoi un peuple avant l’autre ? Pourquoi l’un après l’autre ? C’est tout le mystère du dessein de Dieu dans lequel nous voyons des successions et des élections. Pourquoi le Christ est-il né dans le peuple juif ? Pourquoi avons-nous été christianisés dès les origines ? C’est le mystère du plan de Dieu : ses voies sont insondables. Cela demande de notre part une profondeur de contemplation, de patience, d’attente, mais nous devons savoir aussi qu’il est un mystère de salut total, le mystère du salut des nations. Dans ce plan de Dieu, il y a un ordre des Juifs, mais il y a aussi un ordre d’Ismaël, qui n’est pas le même que l’ordre des païens et qui tient un rôle particulier dans le mystère de l’histoire.

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memoire de sainte Agnes

Mémoire de sainte Agnes

Le martyr d’Agnès

Saint Ambroise
Histoire des saints, tome II, La semence des martyrs, p. 64

On rapporte qu’elle subit le martyre à douze ans. Cruauté d’autant plus odieuse qu’elle n’a pas épargné même l’âge le plus tendre, ou plutôt grande force de la foi qui a trouvé un témoin jusque dans cet âge-là ! En un si petit corps, y avait-il place pour une blessure ? Et comment celle en qui le glaive ne trouvait pas de lieu où pénétrer, eut-elle la ressource de triompher du glaive ?
Sans craindre la main sanglante des bourreaux, impassible au milieu du grincement des lourdes chaînes qu’on tire, tantôt elle offre tout son corps à l’épée du soldat furieux, ne sachant pas encore ce qu’est la mort, mais prête si on l’entraîne malgré elle aux pieds des autels, à tendre ses mains vers le Christ au milieu des flammes et à former ainsi, sur les bûchers sacrilèges, le signe du Seigneur victorieux ; tantôt elle passe son cou et ses deux mains dans des chaînes de fer, mais aucun lien ne pouvait enfermer des membres si graciles.
Voici un martyr d’un genre nouveau : elle n’avait pas encore l’âge requis pour le supplice, mais elle était déjà mûre pour la victoire ; le difficile pour elle était de pouvoir combattre, mais remporter la victoire était aisé : elle devint maîtresse de vertu malgré l’obstacle de l’âge.
La jeune mariée ne se hâterait pas vers la couche nuptiale avec l’empressement que cette vierge mit à s’avancer, joyeuse de se présenter d’un pas alerte au lieu de son supplice, la tête parée non d’une chevelure bouclée, mais du Christ, couronnée non pas de tendres fleurs, mais de ses vertus. Tout le monde pleure, elle seule ne verse pas une larme ; la plupart s’étonne que si facilement prodigue de sa vie, elle en fasse don comme si elle l’avait déjà épuisée, alors qu’elle n’y a pas encore goûté. Tous sont saisis de stupeur en voyant témoigner pour Dieu une fillette qui, en raison de son âge, ne pouvait pas encore disposer d’elle-même. Bref, elle a obtenu qu’on ajoutât foi à son témoignage en faveur de Dieu, ce qu’elle n’aurait pas obtenu à son âge s’il s’était agi d’un homme : c’est que ce qui dépasse la nature révèle l’auteur de la nature.
De quelles terrifiantes menaces usa le bourreau pour l’épouvanter, de quelles caresses pour la persuader, combien firent des vœux pour avoir la chance de l’épouser ! Mais elle de s’écrier : C’est un affront pour l’époux que d’attendre celle qui doit lui plaire. Celui qui le premier m’a choisi m’obtiendra. Pourquoi, bourreau, tardes-tu ? Que périsse ce corps que peuvent aimer des regards dont je ne veux pas.
Debout, en prière, elle fléchit la nuque. On pouvait voir le désarroi du bourreau, comme si c’était lui le condamné à mort, la mais de l’exécuteur trembler, et pâlir le visage de qui craignait le péril d’autrui, alors que la fillette ne craignait pas celui qui la menaçait.

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2° mercredi du temps ordinaire

2° mercredi du temps ordinaire

Sur Genèse 14, 1-24
L’offrande de Melchisédeq : le pain et le vin
Philippe Lefebvre
Brèves rencontres, Vies minuscules de la Bible, Cerf, 2015, p. 61s

Melchisédeq offre à Abraham du pain et du vin. Pain et vin sont les seules denrées produites par les humains qui aient été évoquées depuis le début de la Genèse. Or, dès qu’ils apparaissent, le pain et le vin sont mis en rapport avec la malédiction : on trouve le pain pour la première fois dans la malédiction que Dieu prononce à l’encontre d’Adam, après la désobéissance : Maudit soit le sol à cause de toi ; à la sueur de ton visage tu mangeras du pain. Quant au terme vin, il est apparu deux fois dans l’histoire de Noé, la première fois lorsque Noé s’enivre, la seconde quand il maudit son fils Cham. Remarquons qu’au pain et au vin s’attache une malédiction, lors des péripéties du commencement, et lors de ce nouveau commencement qu’est l’après déluge.
Lorsqu’il apporte son offrande à Abraham, Melchisédeq le bénit en ces termes : Béni soit Abraham par le Dieu très haut. Melchisédeq atteste ainsi que la malédiction n’est pas la seule logique à l’œuvre dans ce monde. Faut-il gagner le pain par un travail assidu ? Voici que le pain est apporté à Abraham. L’absorption de vin a-t-elle amené à la malédiction de Cham ? Voici que le vin est offert à Abraham par un roi de Canaan. Ce passage de la malédiction à la bénédiction est d’autant plus notable que les deux types de paroles sont plus d’une fois présentés dans la Bible en binôme contrasté : Dieu bénit les humains et leur fructification (Gn 1,28), puis il maudit le sol qui fructifiera difficilement (Gn 3,17) ; Noé maudit Cham et bénit le Seigneur (Gn 9,25-27) ; le prophète Balaam doit maudire Israël, mais il ne peut que le bénir (Nb 22-24). La bénédiction de Melchisédeq, porteurs de deux mets liés à une malédiction, semble donc appartenir à cette confrontation récurrente entre ce qui est béni et ce qui est maudit.
La malédiction désigne le domaine de l’opacité et de la résistance des choses, de la vie qu’il faut acquérir de haute lutte ; la bénédiction marque au contraire la vie donnée là où elle était improbable, la vie venue de plus loin que des efforts humains, la vie reçue capable de se transmettre encore.
Ce que nous avons vu de Melchisédeq a bien sûr une grande importance pour le Nouveau Testament. On commente habituellement la figure de Melchisédeq telle que la lettre aux Hébreux la présente explicitement. Mais cette figure, sans être nommée, me semble aussi présente dans les Evangiles : le roi de Salem vient visiter les textes qui parlent de Jésus, roi de Jérusalem, donateur de pain et de vin sur lesquels il a prononcé la bénédiction. Jésus est un roi et un prêtre paradoxal, qui se donne en se donnant dans le pain et le vin, puis il revient manger et boire avec les siens, après être sorti de la fosse où on avait cru l’engloutir.

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2° mardi du temps ordinaire

2° mardi du temps ordinaire

Sur Genèse 12, 1-9
Le sens de l’appel d’Abraham
Jean Daniélou
Le mystère de l’Avent, chapitre 1, p. 29s

L’Ancien Testament est l’histoire de l’éducation religieuse de l’humanité par Dieu, de façon à la rendre capable de recevoir les biens divins qu’il lui destine. Avant de venir dans la chair pour accomplir pleinement le mystère du salut du monde, le Verbe de Dieu lui-même a commencé par préparer ce dont nous avons le prélude dans le choix que Dieu a fait d’Abraham et de sa descendance pour leur communiquer déjà les secrets du mystère du Christ, d’une manière encore obscure et cachée, mais très réelle pourtant. Et ceci de manière à habituer peu à peu une humanité grossière et rudimentaire, adonnée au culte des idoles, à s’élever, à comprendre et à deviner qu’elles allaient être les réalités que le Christ apporterait. Lorsque le Christ apparaîtrait et que son mystère serait révélé, l’humanité serait capable de le comprendre.
La migration d’Abraham de Chaldée en Canaan est donc un événement d’une nature presque unique, qui n’a d’égal dans la totalité de l’histoire que la création du monde et l’incarnation du Christ. Il est en effet le commencement absolu de l’action de Dieu dans l’histoire, comme la création est le commencement de son action dans le cosmos, et l’incarnation le commencement du monde futur. Il inaugure l’Histoire Sainte. Il est la première manifestation de l’action historique du Dieu vivant. C’est donc un ordre de réalité nouveau qui apparaît avec lui, et qui va remplir dix-neuf siècles. C’est là ce qui donne à ce départ d’Abraham son caractère unique.
Cet événement comprend plusieurs aspects. Il est d’abord un ordre de départ, une séparation. Jusque-là, en effet, Abraham semble avoir partagé les croyances idolâtriques de son peuple. Le départ d’Abraham, c’est donc la rupture avec les idoles et le commencement du culte du Dieu véritable. Pour toute la tradition judéo-chrétienne, Abraham est le modèle et le principe de la conversion au Dieu vivant par le commencement absolu de la foi.
En même temps qu’un ordre de départ, qu’une rupture avec le passé, l’élection d’Abraham est une promesse, l’annonce d’un avenir. Par-là, apparaît aussi dès l’abord le caractère de la religion nouvelle. La religion cosmique reconnaissait le divin dans la régularité du cours des astres et des saisons que Dieu avait garantie par l’Alliance noachique : c’était une religion de la nature. Au contraire, la religion biblique sera l’attente d’événements historiques à venir : Oui, je te bénirai et je te multiplierai.